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forces qu’augmenté leur jalousie et leur ressentiment.

Il y avait alors, dans la ville d’Antium, un homme que ses richesses, son courage et l’illustration de sa race, faisaient honorer comme un roi dans tout le pays des Volsques : il se nommait Tullus Amphidius[1]. Marcius n’ignorait pas qu’il lui était, plus qu’aucun autre Romain, un objet de haine ; car ils s’étaient souvent défiés dans les combats, avec ces menaces et ces bravades familières à de jeunes guerriers qu’exaltent l’émulation et l’amour de la gloire. Ainsi, aux motifs généraux d’hostilité qui les animaient, se joignait une inimitié personnelle. Mais il connaissait la grandeur d’âme de Tullus ; et surtout il le savait, plus que pas un des Volsques, disposé à rendre aux Romains tous les maux qu’ils avaient faits à sa nation. Aussi vérifia-t-il le mot d’un poëte[2] :

Il est difficile de lutter contre la colère. Ce qu’elle veut, on l’achète au prix de la vie.


Il prit un costume, un déguisement, sous lequel il fût complètement impossible de reconnaître sa personne ; et, comme Ulysse :

Il entra dans la ville des ennemis[3].

C’était le soir ; il rencontra une foule de monde, mais nul ne le reconnut. Il va droit à la maison de Tullus ; il y entre sans se faire annoncer, et il s’assied près du foyer, en silence et la tête couverte. Les gens de Tullus furent fort surpris ; mais ils n’osèrent le faire lever, car il y avait, dans sa personne, dans tout son extérieur et dans son silence même, je ne sais quel air de majesté. Ils allèrent rapporter à Tullus, qui soupait, cette sin-

  1. D’autres le nomment Attius Tullus.
  2. On ignore le nom de ce poëte.
  3. Homère, Odyssée, chant IV, vers 245.