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mier mouvement de la colère, qu’il ne courût se jeter sur le sénat. Mais les tribuns se bornèrent à accuser Marcius, et ils le firent sommer de venir se défendre. Marcius chassa ignominieusement les licteurs qu’ils avaient envoyés. Les tribuns allèrent donc eux-mêmes, accompagnés des édiles, pour l’entraîner de force. Déjà ils l’appréhendaient au corps ; mais les patriciens vinrent à son secours, repoussèrent les tribuns, et frappèrent même les édiles. La nuit finit par les séparer, et mettre fin au tumulte. Le lendemain, à la pointe du jour, les consuls, qui voyaient la multitude irritée accourir de toutes parts au Forum, craignirent pour la république. Ils assemblent le sénat ; et ils lui proposent d’aviser aux moyens d’apaiser le peuple par des décrets favorables. « Ce n’est pas le moment, disaient-ils, de s’opiniâtrer à une dispute d’honneurs et de dignités. Consultez la prudence : la conjoncture est critique et dangereuse, et elle réclame une politique toute de ménagement et d’humanité. » La plupart des sénateurs accédèrent à cet avis ; et les consuls allèrent parler au peuple. Ils firent tout leur possible pour calmer l’irritation. Ils justifièrent le sénat des calomnies dont on l’avait chargé ; mais ils le firent sans récrimination, et en mêlant à leurs discours de sages avis et d’utiles remontrances. Ils finirent par assurer le peuple qu’il n’y aurait point de chicane sur le prix du blé[1].

Cette promesse apaisa la multitude ; et l’on voyait assez, à son silence et à sa tranquillité, qu’elle se rendait aux discours des consuls. Alors les tribuns se levèrent, et ils déclarèrent qu’à l’exemple du sénat, qui prenait le parti de la raison, le peuple accéderait, de son côté, à tout ce qui serait juste ; mais qu’il fallait que Marcius vînt répondre sur différents chefs d’accusation, et attester s’il n’avait point encouragé le

  1. Il y a quelques différences de détail entre le récit de Plutarque et celui de Denys d’Halicarnasse ; mais le fond s’accorde.