Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/529

Cette page a été validée par deux contributeurs.

biter une ville dont l’air est empesté, toute remplie de morts restés sans sépulture, et où ils seront à la merci d’un démon étranger et funeste. Et, comme si ce n’était point assez encore d’avoir fait périr par la famine une partie des citoyens, et de livrer les autres à la peste, les voilà qui vont, de gaieté de cœur, entreprendre une guerre, afin que la ville soit affligée de tous les fléaux à la fois, parce qu’elle a refusé de rester l’esclave des riches. »

Le peuple, tout rempli de ces discours, ne venait point répondre à l’appel des consuls, et il se dégoûtait de la nouvelle colonie. Le sénat ne savait quel parti prendre ; mais Marcius, enflé de ses succès, et qui se vantait fort de la considération dont il jouissait auprès des principaux citoyens, combattit ouvertement les démagogues, et il fit presser le départ de la colonie. On obligea, sous des peines sévères, ceux que le sort avait désignés, de partir pour Vélitres. Quant à la guerre, comme le peuple refusait absolument de s’enrôler, Marcius rassembla ses clients, avec tout ce qu’il put déterminer de volontaires, et il alla faire des courses sur les terres des Antiates[1]. Il y trouva une grande quantité de blé, de bestiaux et d’esclaves, dont il ne prit rien pour lui ; et il ramena dans Rome sa troupe chargée de butin. Les autres citoyens, à la vue de leur bonne fortune, furent saisis d’un sentiment de dépit et d’envie. Marcius leur devint odieux ; et l’accroissement de sa gloire et de sa puissance ne paraissait plus, à ces esprits chagrins, qu’un symptôme menaçant pour le peuple.

Peu de temps après, Marcius demanda le consulat ; et presque tous les suffrages penchaient de son côté. Le peuple éprouvait quelque honte à refuser un citoyen des plus distingués par sa noblesse et par sa vertu, et à lui faire affront, après tant de services importants

  1. Antium était la capitale du pays des Volsques.