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bats où il avait été vaincu, un dernier coup de dés, si je puis dire, et il marcha contre Rome. Plusieurs peuples du Latium et des autres contrées de l’Italie l’aidèrent dans son entreprise, bien moins par intérêt pour lui, que par le désir d’arrêter les progrès des Romains, objet de leur crainte et de leur envie. Dans cette bataille[1], où les deux partis reprirent tour à tour l’avantage plusieurs fois, Marcius combattit, avec un courage extraordinaire, sous les yeux du dictateur[2] ; ayant vu un Romain qui venait d’être renversé, il courut à son secours, lui fit un rempart de son corps, et tua l’ennemi qui venait pour l’achever. Après la victoire, il fut un des premiers que le général décora d’une couronne de chêne. C’est la couronne habituellement décernée à celui qui a sauvé la vie d’un citoyen. Peut-être a-t-on voulu, par là, faire honneur au chêne, à cause des Arcadiens[3], que l’oracle d’Apollon a appelés mangeurs de glands ; peut-être est-ce parce que le chêne est fort commun, et que les gens de guerre en trouvent facilement partout ; peut-être enfin est-ce parce que cet arbre est consacré à Jupiter protecteur des villes, que la couronne de chêne a paru plus convenable pour le soldat qui avait sauvé un citoyen. D’ailleurs, le chêne est le plus fertile des arbres sauvages, et le plus vigoureux des arbres cultivés. Les hommes en tiraient jadis une nourriture, le gland, et une boisson, l’hydromel[4] ; et ils lui devaient presque toute la viande dont ils se nourrissaient, car c’est le chêne qui produit la glu[5] dont on se sert à la chasse pour prendre le gibier. On dit que les Dioscures apparurent dans cette bataille ; et qu’aussitôt après le com-

  1. Il s’agit de la bataille du lac Régille, qui se donna en l’an 496 avant J.-C.
  2. Ce dictateur se nommait Aulus Postumius.
  3. En souvenir d’Évandre et de ses compagnons, fondateurs de Pallantée, sur le mont Palatin.
  4. On récoltait le miel dans le creux des vieux chênes : voilà comment la boisson faite avec le miel était regardée comme un produit du chêne.
  5. La glu se tirait du gui, qui pousse sur le chêne.