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les en avertir. Il monte à cheval, et il va trouver les généraux. « Vous occupez, leur dit-il, un poste désavantageux, sur une côte qui n’a ni ports ni villes, et où vous êtes obligés de tirer vos provisions de Sestos[1], qui est fort éloignée. Vous souffrez imprudemment que vos matelots, lorsqu’ils descendent à terre, se dispersent et se répandent en liberté partout où ils veulent, tandis qu’ils sont en présence d’une flotte ennemie, accoutumée à obéir sans réplique aux ordres absolus de son général. Vous devriez faire passer la flotte à Sestos. » Mais les généraux ne voulurent pas l’écouter. Tydée même lui dit insolemment : « Retire-toi ; ce n’est pas toi, mais d’autres qui commandent ici. »

Alcibiade se retira, soupçonnant quelque trahison de la part des généraux ; et il dit aux personnages de distinction qui le reconduisirent hors du camp, que, si les généraux ne l’avaient pas traité avec cette ignominie, il aurait, en peu de jours, forcé les Lacédémoniens ou à combattre malgré eux, ou à abandonner leurs vaisseaux. Pure fanfaronnade, pensait-on ; mais quelques-uns y trouvèrent de la vraisemblance, car il pouvait, avec ses Thraces si nombreux, tous hommes de trait et cavaliers, aller par terre charger les Lacédémoniens, et mettre le désordre dans leur camp. Au reste, il avait trop bien vu les fautes des Athéniens : l’événement le prouva peu de temps après. Lysandre fondit subitement sur eux, et à l’improviste ; et, de toute la flotte, huit vaisseaux seulement se sauvèrent avec Conon : tous les autres, au nombre d’environ deux cents, furent emmenés captifs ; et trois mille hommes furent pris vivants par Lysandre, puis égorgés. Peu de temps après, Lysandre se rendit maître d’Athènes, brûla tous les vaisseaux, et détruisit les longues murailles[2].

Alcibiade, voyant les Lacédémoniens maîtres de la

  1. Ville située à l’entrée de l’Hellespont, en face d’Abydos.
  2. Qui joignaient Athènes au port du Pirée.