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et la procession rentra sans encombre dans la ville.

Ce succès enfla le courage d’Alcibiade, et inspira à l’armée une telle confiance, qu’elle se crut invincible, tant qu’elle l’aurait pour chef. Quant aux pauvres et aux gens des basses classes, Alcibiade les avait si bien captivés, qu’ils furent pris d’un merveilleux désir de l’avoir pour tyran ; et quelques-uns même allèrent jusqu’à lui dire qu’il devait se mettre au-dessus de l’envie, abolir les décrets et les lois, écarter tous les hommes frivoles qui troublaient l’État par leur bavardage, et disposer des affaires à son gré, sans s’embarrasser des calomniateurs. On ignore quelle était personnellement sa pensée sur la tyrannie ; mais les plus considérables d’entre les citoyens s’effrayèrent, et ils pressèrent le plus qu’ils purent son départ, en lui accordant tout ce qu’il voulut, et en lui donnant les collègues qu’il demanda.

Il mit à la voile avec cent vaisseaux, et il aborda dans l’île d’Andros : il y battit les troupes du pays, et les Lacédémoniens qui s’y trouvaient ; mais il ne prit pas la ville, et ce fut la première des accusations politiques que lui intentèrent plus tard ses ennemis. Or, s’il y eut jamais un homme victime de sa gloire, ce fut, on peut le dire, Alcibiade. La grande opinion que donnaient de sa hardiesse et de sa prudence tant d’exploits heureux, le faisait soupçonner d’avoir manqué par négligence ce qu’il n’avait pas exécuté, parce qu’on était persuadé que rien n’était impossible, où il mettrait son zèle. On espérait aussi apprendre la réduction de Chios et du reste de l’Ionie ; et, la nouvelle tardant trop au gré des Athéniens impatients, le mécontentement éclatait partout. Ils ne voulaient pas réfléchir que c’était contre des peuples à qui le grand roi fournissait tout l’argent dont ils avaient besoin, qu’Alcibiade faisait la guerre, tandis qu’il était lui-même souvent obligé de quitter son camp et de courir la mer, pour ramasser de quoi payer et faire subsister ses soldats. Ces courses fournirent le prétexte