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Cependant tout lui succédait au gré de ses désirs. Les cent trirèmes qu’il devait commander étaient prêtes : il n’y avait plus qu’à se remettre en mer ; mais une louable ambition le retint, jusqu’à la célébration des mystères[1]. Depuis que les Lacédémoniens avaient fortifié Décélie, et qu’ils étaient maîtres des chemins qui menaient à Éleusis, on conduisait par mer la pompe sacrée : ce n’étaient plus dès lors les magnificences d’autrefois ; et l’on avait renoncé par force aux sacrifices, aux danses, et à plusieurs autres cérémonies qui se font sur la voie sacrée[2], lorsqu’on porte hors de la ville la statue d’Iacchus. Alcibiade crut donc que ce serait chose pieuse à la fois envers les dieux, et honorable aux yeux des hommes, que de rendre aux mystères leur solennité accoutumée, en conduisant la procession par terre, avec une escorte qui la défendît contre les ennemis. Agis ferait, pensait-il, un irréparable dommage à sa réputation et sa gloire, s’il la laissait passer tranquillement ; sinon, ce serait là pour lui, Alcibiade, une occasion de signaler sa valeur à la vue de sa patrie, en face de tous ses concitoyens, dans une lutte sacrée, et que son motif si saint et si noble rendrait agréable aux dieux. Cette résolution prise, il en fait part aux Eumolpides et aux hérauts ; il poste des sentinelles sur les hauteurs, et, dès la pointe du jour, il envoie des coureurs à la découverte. Puis, prenant avec lui les prêtres, les mystes et les mystagogues[3], et les couvrant de ses troupes en armes, il les conduit en bon ordre et en silence. C’était un spectacle vraiment auguste et digne des dieux ; et le chef de l’expédition, aux yeux de ceux qui ne portaient pas envie à Alcibiade, était un véritable hiérophante et un mystagogue, non moins qu’un général. Pas un ennemi n’osa remuer ;

  1. En l’honneur de Cérès et de Proserpine.
  2. Qui conduisait d’Athènes à Éleusis.
  3. Les initiés, et les conducteurs d’initiés, ou initiateurs.