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le reconnaître ; motif auquel Léotychidas dut plus tard son exclusion de la royauté.

Après le désastre des Athéniens en Sicile, les habitants de Chios, de Lesbos et de Cyzique, députèrent à Sparte, pour traiter de leur défection. Les Béotiens favorisaient ceux de Lesbos, et Pharnabaze ceux de Cyzique ; mais on se décida, à la persuasion d’Alcibiade, à secourir les habitants de Chios avant tous les autres. Alcibiade s’embarqua lui-même, souleva presque toute l’Ionie, et aida les généraux lacédémoniens à ruiner les affaires d’Athènes. Agis, qui lui en voulait déjà pour avoir corrompu sa femme, était d’ailleurs jaloux de sa gloire : il s’affligeait d’entendre dire que rien presque ne se faisait, ne réussissait, que par Alcibiade. D’ailleurs, les plus puissants personnages de Sparte et les plus ambitieux lui portaient envie ; et cette haine alla si loin, qu’à force d’intrigues ils obligèrent les magistrats d’écrire en Ionie qu’on le fit périr. Alcibiade en fut secrètement averti : aussi se mit-il sur ses gardes ; et, tout en travaillant dans les vues des Lacédémoniens, il évita soigneusement de tomber entre leurs mains.

Pour plus de sûreté, il se retira chez Tisapherne, satrape du roi de Perse[1] ; et il jouit bientôt auprès de lui d’un crédit immense et sans égal. Le barbare ne se piquait ni de franchise, ni de droiture : fourbe et dissimulé, il aimait les gens pervers ; et voilà pourquoi il s’était pris d’admiration pour la souplesse d’Alcibiade, et pour cette incroyable aptitude à revêtir toutes sortes de formes. Disons, du reste, que la société d’Alcibiade avait tant de charmes, et qu’Alcibiade étalait tant de grâce dans ses entretiens, qu’il n’y avait point de caractère qui lui pût résister, point de nature dont il ne se rendît maître : ceux-là mêmes qui le craignaient, et qui étaient jaloux de lui, trouvaient, dans son commerce et dans sa pré-

  1. C’était le satrape qui gouvernait les possessions du roi de Perse dans l’Asie Mineure.