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cide avait compris parmi les coupables quelques-uns de ses propres esclaves.

Toutefois, ces condamnations n’apaisèrent pas toute la colère du peuple. Au contraire, quand il n’eut plus à s’occuper des mutilateurs d’Hermès, il tourna vers Alcibiade tous les flots de sa bile, grossis, pour ainsi dire, par le loisir dont on jouissait. On finit par dépêcher à Alcibiade la trirème salaminienne[1], avec la prudente recommandation de ne pas user de violence, et de ne pas mettre non plus la main sur lui, mais de lui intimer avec douceur l’ordre de suivre, pour comparaître en jugement, et pour se justifier devant le peuple. En effet, on craignait une sédition parmi les troupes, dans une terre ennemie ; et il eût été facile à Alcibiade de l’exciter, s’il l’avait voulu. Les soldats éprouvaient, à le voir partir, un déplaisir extrême ; et ils s’attendaient que, sous Nicias, la guerre allait traîner en longueur, et devenir interminable, quand Nicias n’aurait plus auprès de lui Alcibiade, cette espèce d’éperon qui savait le décider à agir ; car Lamachus, quoique belliqueux et plein de bravoure, manquait, à cause de sa pauvreté, de la considération et de l’autorité nécessaires[2].

Alcibiade s’embarqua à l’instant même ; et il fit perdre Messine aux Athéniens. Un complot s’était formé pour leur livrer cette ville : Alcibiade, qui en connaissait très-bien les auteurs, les dénonça aux Syracusains, et rompit leur trame. Arrivé à Thuries[3], il se cacha, sitôt qu’il fut débarqué, et il échappa à toutes les recherches. Quelqu’un, l’ayant reconnu, lui dit : « Alcibiade, ne te fies-tu donc point à ta patrie ? — Oui bien, pour tout le reste, dit-il ; mais, quand il s’agit de ma vie, je ne m’en

  1. On a vu, dans la Vie de Périclès, ce que c’était que ce navire.
  2. Lamachus avait été souvent en butte aux sarcasmes des comiques, et surtout d’Aristophane. Après sa mort, Aristophane lui rendit justice, et le mit au nombre des héros.
  3. Colonie athénienne, établie sur l’emplacement de l’ancien Sybaris.