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voyaient des menaces de tyrannie et des monstruosités.

Quant aux dispositions du peuple pour lui, Aristophane les a fort bien exprimées dans ce vers[1] :

Il le désire, tout en le haïssant, et veut l’avoir ;


et quand il ajoute[2] :

Ne nourrissez pas le lion dans la ville ;
Sinon, soumettez-vous à ses fantaisies.


En effet, ses largesses au peuple, ses dépenses excessives pour donner à la ville des spectacles et des jeux dont on n’eût pu surpasser la magnificence ; la gloire de ses ancêtres, le pouvoir de son éloquence, la beauté de sa personne, sa force de corps, son courage, son expérience de la guerre, lui faisaient pardonner tout le reste : les Athéniens supportaient patiemment toutes ses fautes, et ils les déguisaient sous les noms favorables de traits de jeunesse et d’écarts d’un bon naturel. Par exemple, il tint enfermé chez lui le peintre Agatharchus, jusqu’à ce qu’il eût peint sa maison ; après quoi il le renvoya comblé de présents. Un jour, il donna un soufflet à Tauréas, qui avait l’ambition d’être un chorége[3] non moins somptueux que lui, et de lui disputer la victoire. Il prit pour maîtresse une jeune Mélienne[4], qui se trouvait parmi les prisonniers de guerre, et il éleva l’enfant qu’il eut d’elle. Voilà ce qu’on appelait des traits d’un bon naturel. Il n’en fut pas moins la cause principale du massacre de tous les Méliens en âge de porter les armes ; car il appuya le décret d’égorgement. Aristophon ayant peint Alcibiade assis sur les genoux de Néméa[5] et

  1. Dans la comédie des Grenouilles, vers 1425.
  2. Dans la même pièce, vers 1431.
  3. On nommait choréges ceux qui fournissaient aux frais des jeux publics, notamment pour les représentations de pièces nouvelles.
  4. C’est-à-dire née dans l’île de Mélos, aujourd’hui Milo, une des Cyclades.
  5. Cette Néméa était une courtisane.