Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/472

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’agissait d’une distribution d’argent, il s’avança, et il en distribua aussi. Le peuple applaudit à grands cris à cette libéralité ; et Alcibiade, transporté de joie, ne se rappela plus qu’il avait une caille sous son manteau[1]. L’oiseau, effrayé du bruit, s’envola. Les Athéniens redoublent leurs acclamations : on se lève, et on se met à courir après la caille, pour la rattraper. Le pilote Antiochus parvint à la prendre, et il la remit à Alcibiade. Aussi Alcibiade témoigna-t-il toujours depuis ce temps à Antiochus une vive amitié[2].

Sa naissance et ses richesses, sa bravoure dans les combats, le grand nombre d’amis et de parents qu’il avait, c’étaient là autant de portes qui lui facilitaient l’entrée des affaires. Mais il aima beaucoup mieux ne devoir qu’au charme de l’éloquence les faveurs de la multitude. Et qu’il ait été doué d’un grand talent pour la parole, c’est ce qu’attestent et les poëtes comiques, et le plus éloquent des orateurs[3], lequel, dans son discours contre Midias, dit qu’Alcibiade, outre ses autres qualités, eut à un haut degré le don d’éloquence. Si nous en croyons Théophraste, un des plus savants philosophes, et des mieux renseignés, personne ne s’entendait comme Alcibiade à trouver les arguments péremptoires, et à saisir un sujet. Mais il ne s’agissait pas seulement de chercher les idées, il les fallait exprimer. Or, les mots, les termes propres, ne se présentaient pas toujours facilement à son esprit : il hésitait souvent ; il perdait le fil de la phrase, et il s’arrêtait tout court, afin de penser à ce qu’il devait dire ensuite.

  1. Les anciens faisaient battre ensemble des couples de cailles, comme on fait encore aujourd’hui combattre d’autres sortes d’oiseaux ; et il s’engageait des paris pour et contre, comme dans tous les jeux de ce genre. On se servait aussi des combats de cailles pour tirer des prévisions et des augures relativement à des entreprises dont l’issue était douteuse, et dépendait de ce qu’on nommait la Fortune.
  2. On verra qu’il alla jusqu’à faire de cet Antiochus un amiral, au grand dommage des Athéniens.
  3. Je n’ai pas besoin de dire que Plutarque veut désigner Démosthène.