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aucun moyen de se tirer d’affaire. Ils offrirent donc de l’argent à cet homme, pour l’engager à se désister. Alcibiade ne consentit pas à ce qu’il reçût moins d’un talent[1] : ils le donnèrent ; et Alcibiade, à ce prix, lui permit de retirer sa parole, content de lui avoir procuré ce bénéfice.

L’amour de Socrate pour Alcibiade, tout contrarié qu’il fût par des rivaux nombreux et puissants, souvent néanmoins prenait le dessus dans le cœur du jeune homme. L’heureux naturel d’Alcibiade cédait à des discours qui le touchaient profondément, et qui portaient dans son âme une vive émotion, et lui faisaient verser des larmes[2]. Quelquefois aussi, il se laissait aller à ses flatteurs, et entraîner par l’appât des plaisirs : il échappait à Socrate, et Socrate se mettait en chasse après lui, comme après un esclave fugitif ; car il était le seul qu’Alcibiade craignit et respectât, tandis qu’il se moquait de tous les autres. Cléanthe[3] disait : « Celui que j’aime, je ne le tiens que par les oreilles, tandis que mes rivaux en amour ont, pour saisir le jeune homme, plusieurs autres moyens qui me répugnent. » Il voulait dire la luxure et la bonne chère. Alcibiade aussi se laissait facilement entraîner à la volupté : c’est la pensée que font naître les récits de Thucydide[4] sur son intempérance et sa vie licencieuse.

Quoi qu’il en soit, les corrupteurs le prenaient surtout par son ambition, et par son amour pour la gloire ; et ils le poussaient prématurément à de grandes entreprises, en lui faisant accroire qu’il ne se serait pas plutôt mêlé des affaires publiques, qu’il ferait rentrer dans l’ombre tous les généraux et tous les démagogues ;

  1. Six mille drachmes, plus de 5,600 francs.
  2. Voyez les discours d’Alcibiade sur Socrate, dans le Banquet de Platon.
  3. Philosophe et poëte, disciple de Zénon le stoïcien, et dont il reste un hymne sublime à Jupiter. Voyez l’article que j’ai consacré à Cléanthe, dans mon Histoire de la Littérature grecque.
  4. Au sixième livre de sa Guerre du Péloponnèse.