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tion, et resta dans sa maison à faire la débauche avec ses amis. Après boire, il s’en va, menant grand tapage, chez Anytus. Il s’arrête à la porte de la salle ; et, voyant les tables couvertes de vaisselle d’or et d’argent, il ordonne à ses esclaves d’en prendre la moitié, et de l’emporter chez lui ; puis, sans daigner entrer dans la salle, il se retire, après cet esclandre. Les convives d’Anytus se récrièrent, indignés de l’insolence et de l’audace d’Alcibiade. « Au contraire, leur dit Anytus, il s’est conduit avec ménagement et avec bonté ; car il était maître de tout prendre, et il nous a laissé notre part. »

C’est ainsi qu’il en usait avec tous ses amoureux. Il ne fit qu’une exception : ce fut envers un étranger, qui s’était établi à Athènes. Cet homme, ayant vendu le peu de bien qu’il avait, en forma la somme de cent statères[1], qu’il offrit à Alcibiade, en le pressant de les accepter. Alcibiade sourit ; et, charmé de la bonne volonté de cet homme, il l’invite à souper. Après l’avoir bien traité, il lui rend son argent, et lui ordonne de venir, le lendemain, mettre son enchère à la ferme des impôts publics. Notre homme s’en défendait, parce que ce bail était de plusieurs talents ; mais Alcibiade le menaça, s’il n’obéissait, de lui faire donner les étrivières ; car il avait à se plaindre personnellement des fermiers. L’étranger se rendit donc le lendemain matin sur la place, et il mit un talent de surenchère. Les fermiers irrités se liguent contre lui, et exigent qu’il dise qui sera sa caution, persuadés qu’il ne trouverait personne. Interdit à cette proposition, notre homme se retirait déjà, lorsque Alcibiade cria de loin aux archontes : « Écrivez mon nom ; cet homme est mon ami ; je suis sa caution. » Les fermiers, à ces paroles, se trouvèrent eux-mêmes dans un extrême embarras : accoutumés à payer, avec le produit du second bail, les arrérages du premier, ils ne voyaient

  1. Le statère était une monnaie d’or valant 20 drachmes, ou un peu moins de 19 de nos francs.