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extérieure, aussi fort rempart de biens, comme on les appelle, pour devenir impénétrable aux coups de la philosophie et inaccessible aux aiguillons piquants des libres remontrances.

Amolli, dès les premiers jours, et circonvenu par ceux qui ne cherchaient qu’à lui complaire pour l’éloigner du seul homme qui le pût instruire et corriger, Alcibiade reconnut pourtant, grâce à son heureux naturel, ce que valait Socrate : il l’attira auprès de sa personne, et il repoussa les amoureux riches et puissants. Il eut bientôt formé avec Socrate une liaison intime ; et il écouta volontiers les discours d’un homme dont l’attachement n’avait pas pour objet une volupté efféminée, qui ne lui demandait rien de honteux, mais qui reprenait les imperfections de son âme, et qui réprimait son orgueil et sa présomption.

Il frémit, comme le coq baissant une aile captive.


Il reconnut, dans les efforts de Socrate, une véritable entreprise des dieux en vue de l’instruction et du salut de la jeunesse. Plein de mépris pour lui-même et d’admiration pour Socrate, il accueillit avec joie les marques de sa tendresse ; il se sentit pour la Vertu un profond respect, et il forma insensiblement en lui une image de l’amour, ou plutôt un contre-amour, suivant l’expression de Platon[1]. On était étonné de le voir souper et lutter tous les jours avec Socrate, et loger à l’armée sous la même tente, lui qui rudoyait tous ses autres amoureux, et qui leur faisait si bien sentir son aversion. Il y en eut même qu’il outragea sans mesure : ainsi Anytus, fils d’Anthémion. Anytus aimait Alcibiade ; et, un jour qu’il avait à souper quelques étrangers, il l’avait invité, lui aussi, au festin. Alcibiade refusa cette invita-

  1. Platon entend par là un amour tout idéal, l’amour de la sagesse, qui préserve l’âme des ravages de l’amour vulgaire.