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Alcibiade, comme font les femmes, dit celui-ci. — Non, repartit Alcibiade, mais comme font les lions. » Une autre fois, étant encore tout petit, il jouait aux osselets dans la rue. C’était son tour de jeter, quand il voit venir une charrette chargée. D’abord il crie au conducteur d’arrêter, parce que les osselets tombaient à l’endroit même où devait passer la charrette. Cet homme grossier ne l’écoutait pas, et avançait toujours. Les autres enfants se retirent ; mais Alcibiade, se jetant par terre devant les chevaux : « Passe maintenant, si tu veux, » dit-il au charretier. L’homme épouvanté fit reculer sa voiture ; et les spectateurs, tout stupéfaits, coururent à Alcibiade, en jetant de grands cris.

Quand il commença à étudier, il se montra plein d’assiduité aux leçons de divers maîtres ; mais il ne voulut jamais apprendre à jouer de la flûte, talent qui lui semblait méprisable et indigne d’un homme libre. Il disait que le maniement du plectre[1] et de la lyre n’altère point les traits du visage, et ne lui fait rien perdre de sa noblesse, tandis qu’à souffler dans la flûte, on se déforme la bouche et même la figure entière, au point de n’être plus qu’à grand’peine reconnaissable, même à ses amis. D’ailleurs, celui qui joue de la lyre peut s’accompagner de la voix et du chant ; mais la flûte ferme tellement la bouche du musicien, qu’elle lui interdit tout son et toute parole. « La flûte est bonne, disait-il, pour des fils de Thébains[2], car ils ne savent pas discourir : nous, Athéniens, nous avons, comme disent nos pères, Minerve pour guide et Apollon pour protecteur ; Minerve, qui jeta loin d’elle la flûte, et Apollon qui écorcha celui qui en jouait[3]. » C’est par ces propos, moitié sérieux, moitié plaisants, qu’Alcibiade se délivra de cet exercice, lui et

  1. Le plectre était la touche dont on se servait pour faire vibrer la corde de la lyre.
  2. Béotien était synonyme de stupide, dans la langue des Athéniens.
  3. Le satyre Marsyas.