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« Voilà qui me sera caution que tu resteras avec nous dans le camp. Ta conduite, désormais, montrera si ce n’était pas pour quelque autre motif coupable, que tu te glissais hors des retranchements, sous prétexte de l’amour qui t’attirait près d’elle. » Tel est du moins le récit qu’on a fait à ce sujet.

Annibal s’était emparé de Tarente par trahison ; et la ville fut reprise de la façon suivante. Il y avait, dans l’armée de Fabius, un jeune Tarentin, qui avait à Tarente une sœur dont il était tendrement chéri ; et cette femme était aimée d’un Bruttien, l’un des officiers de la garnison qu’Annibal avait mise dans la place. Cette circonstance fît concevoir au Tarentin une espérance qu’il communiqua à Fabius. Sur l’assentiment de Fabius, il passa dans la ville, où il se fit recevoir en disant qu’il avait déserté pour retourner auprès de sa sœur. Pendant les premiers jours, le Bruttien resta chez lui, sa maîtresse ne le recevant point, parce qu’elle ne croyait pas son frère instruit de leurs relations. Mais à la fin, son frère lui dit : « Beaucoup me disaient là-bas que tu étais la maîtresse d’un des chefs et des principaux de la garnison. Quel homme est-ce donc ? Si, comme on l’assure, c’est un brave, un homme distingué, qu’importe sa naissance[1] ? la guerre confond tout. Il n’y a aucune honte à céder à la nécessité ; et, dans un temps où la justice est sans force, c’est même un bonheur de se rendre doux celui qui pourrait user de violence. » La jeune femme, l’entendant parler ainsi, envoya demander le Bruttien, et elle lui fit connaître son frère. Celui-ci, en secondant la passion du barbare, et en paraissant lui rendre sa sœur plus facile et plus complaisante qu’elle n’avait encore été, acquit sa confiance ; et il ne lui fut pas difficile de gagner au parti contraire, par l’appât des récompenses qu’il lui promettait de la part de Fabius,

  1. Les Bruttiens, bien qu’habitant l’Italie, étaient considérés comme des barbares. Leur pays répond à la Calabre d’aujourd’hui.