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se rangèrent presque tous volontairement sous son autorité ; et Capoue, la ville la plus grande et la plus importante après Rome, se rendit, et le reçut dans ses murs.

Les grands revers font connaître les vrais amis, a dit Euripide[1]. Ils font aussi connaître les bons généraux. Ce qu’avant cette journée on avait appelé, dans Fabius, lâcheté et insensibilité, parut, aussitôt après la bataille, non pas même l’effet d’une raison humaine, mais une inspiration surnaturelle et divine, qui lui avait fait prévoir de si loin les malheurs dont on était frappé, et auxquels pouvaient à peine croire ceux-là même qui les éprouvaient. Aussi Rome n’hésita-t-elle pas à mettre en lui toutes ses espérances, et à chercher son refuge dans la sagesse de cet homme, comme dans un temple et auprès d’un autel ; et, si elle se roidit contre le malheur, et si la population ne se dispersa point comme à l’époque de l’invasion des Gaulois, on le dut, avant tout et surtout, à l’extrême prudence de Fabius. Lui, qu’on avait vu si plein d’alarmes, et se refusant à toute bonne espérance alors que l’État ne paraissait nullement en danger, on le voyait, quand tous s’abandonnaient à des regrets sans fin, à un trouble qui empêchait de rien faire, marcher seul par la ville, d’un pas tranquille et d’un air d’assurance, adressant la parole à tous avec douceur, calmant les lamentations des femmes, et dissipant les attroupements qui se formaient sur les places, pour y déplorer en commun les malheurs publics. Il détermina le sénat à s’assembler, et il rendit le courage à tous ceux qui étaient revêtus de quelque pouvoir. Il était comme leur âme et leur force unique ; et eux tous avaient les yeux fixés sur lui seul.

Il mit des gardes aux portes de la ville, pour empêcher la multitude de s’échapper et d’abandonner les murailles ; il détermina le lieu et le temps où l’on pour-

  1. Dans la tragédie d’Hécube, vers 1226,1227.