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gauche ; ils fondirent sur les ennemis, découverts de tous côtés ; ils enveloppèrent, ils massacrèrent, tout ce qui ne put échapper par la fuite.

On rapporte aussi que la cavalerie romaine fut victime d’une erreur qu’il était humainement impossible de prévenir. Le cheval de Paul Émile, à ce qu’il paraît, avait été blessé ; il renversa son maître ; et ceux qui se trouvaient près de lui descendirent de cheval, pour secourir le consul et le relever. À cette vue, les autres cavaliers, qui crurent qu’on le faisait par ordre, et que l’ordre était général, s’élancent tous à terre, et ils combattent à pied. « Je les aime mieux ainsi, dit Annibal à cet instant, que si on me les livrait pieds et poings liés. » Au reste, on trouve ces particularités dans les livres de ceux qui ont écrit l’histoire en détail[1]. L’un des deux consuls, Varron, se sauva à cheval, avec peu des siens, dans la ville de Vénuse[2]. Quant à Paul Émile, perdu au milieu du trouble et de la confusion de cette déroute, le corps couvert de traits enfoncés dans ses blessures, l’âme abattue par la vue d’un si grand désastre, il restait assis sur une pierre, attendant qu’un ennemi le vînt égorger. Le sang qui souillait sa tête et son visage empêchait la foule des fuyards de le reconnaître ; et ses amis, les gens même de sa maison, passèrent devant lui sans le savoir, et sans s’arrêter. Le seul Cornélius Lentulus, jeune patricien, l’aperçut et le reconnut : il descendit de son cheval, qu’il lui amena, en l’engageant à monter, et à se conserver à ses concitoyens, qui avaient besoin, alors plus que jamais, d’un bon consul. Mais Paul Émile repoussa cette offre. Le jeune homme pria, pleura ; mais ce fut en vain : il l’obligea à remonter à cheval, et lui dit en se levant, et en lui tendant la main : « Va, Lentulus, trouver de ma part Fabius Maximus, et sois-lui témoin que Paul Émile a suivi ses

  1. Plutarque renvoie ici particulièrement à Polybe et à Tite-Live, qui sont la source où lui-même a puisé.
  2. En Appulie, sur la frontière de la Lucanie.