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meurer. En effet, quoiqu’il paraisse vainqueur et maître de la campagne, pas un de ses ennemis n’a passé dans son camp ; et il ne lui reste pas le tiers de l’armée qu’il avait amenée de son pays. » Paul Émile répondit : « Fabius, il vaut mieux, pour moi personnellement, tomber sous les lances de l’ennemi, que sous la sentence de mes concitoyens une deuxième fois. Mais, puisque telle est la situation des affaires publiques, j’essaierai de paraître bon général à toi seul, plutôt qu’à tous ceux qui voudront me contraindre à suivre une conduite opposée. » C’est dans ces sentiments bien arrêtés que Paul Émile partit de Rome.

Mais Térentius le força de consentir à ce qu’ils commandassent toute l’armée un jour l’un un jour l’autre[1] ; et il s’en alla camper tout près d’Annibal, sur les bords de l’Aufide, aux environs de Cannes[2]. Dès l’aurore, il fit déployer le signal de la bataille : c’était une cotte d’armes de pourpre, étendue au-dessus de la tente du général. Sa hardiesse et le nombre de ses troupes effrayèrent d’abord les Carthaginois, moins nombreux que les Romains de plus de moitié. Cependant Annibal donna ordre à ses soldats de prendre les armes ; et, montant à cheval, il alla, avec quelques hommes, se poster sur un petit tertre, d’où il observa les ennemis, qui déjà formaient leurs rangs. Un de ceux qui l’accompagnaient, nommé Giscon, personnage d’une naissance égale à la sienne, témoignait l’étonnement que lui causait le nombre des ennemis ; mais Annibal lui dit, en fronçant le sourcil : « Il y a pourtant une chose encore plus étonnante, Giscon, et que tu ne remarques pas. — Laquelle ? dit l’autre. — C’est, reprit Annibal, que, dans tout ce monde, il n’y ait pas un homme qui s’appelle Giscon. »

  1. Il faut dire que Térentius Varron était dans son droit, en réclamant le commandement un jour sur deux.
  2. Dans la Campanie. Avant la bataille de Cannes, il y avait eu une première action, où Paul Émile avait battu un parti de Carthaginois.