Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/439

Cette page a été validée par deux contributeurs.

empêchant les défections. Mais Térentius Varron, homme de basse naissance[1], qui s’était acquis une certaine célébrité par ses flatteries envers la multitude et par l’intempérance de son langage, fut élevé au consulat ; et personne ne douta qu’il n’exposât bientôt, par son inexpérience et sa témérité, toutes les forces de la république aux chances d’une bataille ; car il ne cessait de crier, dans les assemblées du peuple, que cette guerre ne finirait point, tant que Rome aurait des Fabius pour généraux. « Moi, disait-il, je ne demande qu’un jour, pour voir Annibal et le vaincre. » Et il appuyait ses forfanteries par des enrôlements et des levées extraordinaires, et telles que jamais Rome, dans aucune guerre, n’en avait fait d’aussi considérables : l’armée réunie par le consul montait à quatre-vingt-huit mille hommes. Aussi, grandes furent les craintes de Fabius, et de tout ce qu’il y avait de gens sensés dans Rome, qui voyaient la république sans ressources, si elle venait à perdre une jeunesse aussi nombreuse. Fabius prit donc à part le collègue de Térentius, nommé Paul Émile, capitaine fort expérimenté, mais impopulaire, et qui redoutait la multitude, depuis qu’on l’avait condamné à une amende[2] : il essaya de lui rendre confiance, et il l’engagea à s’opposer à la folie de Térentius, en lui disant que ce n’était pas moins contre lui que contre Annibal, qu’il aurait à défendre sa patrie ; car tous les deux seraient également impatients de livrer bataille, l’un, parce qu’il ne comprenait pas en quoi consistait réellement sa force, et l’autre, parce qu’il connaissait ce qui faisait réellement sa faiblesse. « Paul Émile, dit-il encore, tu dois croire à ma parole plus qu’à celle de Térentius, quand je t’assure, pour ce qui est d’Annibal, que, si on ne lui livre point de combat de toute cette année, force lui sera bien d’évacuer l’Italie en fuyard, ou d’y périr, s’il s’obstine à y de-

  1. Il était fils d’un boucher, mais déjà riche avant de songer à s’élever aux honneurs.
  2. C’était après une campagne en Illyrie, et au sujet du partage du butin.