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son empressement à chasser les ennemis, il a fait une faute, nous l’en reprendrons plus tard. » Dès qu’il parut, les Numides qui voltigeaient dans la plaine se mirent en désordre, et se dispersèrent. Puis il poussa jusqu’à ceux qui étaient engagés sur les derrières de l’armée de Minucius, et il tua tout ce qu’il put atteindre : les autres, pour n’être pas coupés et enfermés, comme l’avaient été les Romains, se hâtèrent de prendre la fuite. Annibal, voyant ce revirement de fortune, et voyant Fabius, qui, avec une vigueur au-dessus de son âge, se faisait jour à travers les combattants, et se précipitait vers la colline, pour dégager Minucius, fit cesser le combat et sonner le signal de la retraite. Les Carthaginois rentrèrent dans leur camp ; et les Romains ne furent pas fâchés non plus de se retirer dans le leur. On rapporte qu’Annibal, en s’en allant, dit à ses amis, par plaisanterie, au sujet de Fabius : « Ne vous avais-je pas prédit bien des fois que ce gros nuage, qui se tenait toujours sur la cime des montagnes, finirait par crever quelque jour, avec une pluie d’orage ? »

Fabius, après le combat, fit recueillir les dépouilles des ennemis qu’on avait tués ; et il se retira sans laisser échapper, contre son collègue, aucune parole d’arrogance ni de blâme. Quant à Minucius, il assembla aussitôt ses troupes, et il leur adressa ces mots : « Camarades ! ne jamais faillir, dans le maniement des grandes charges, est au-dessus de l’homme ; mais il est d’un homme de cœur et de sens de tirer de ses fautes des leçons pour l’avenir. Si j’ai à me plaindre aujourd’hui de la Fortune, j’ai bien plus à m’en louer encore ; car ce qu’un bien long temps n’avait pu me faire comprendre, une heure a suffi pour me l’enseigner : c’est que je ne suis pas capable de commander aux autres ; c’est que j’ai besoin d’un chef, et que je ne dois pas ambitionner la supériorité sur ceux auxquels il m’est plus honorable d’être soumis. Vous n’avez plus d’autre chef que le dictateur.