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teurs, se déroba à son cortège, se jeta et se perdit dans la foule, et demeura sur la place publique, vaquant à ses propres affaires, comme un simple citoyen.

En plaçant Minucius dans une position égale à celle du dictateur, on avait cru que celui-ci s’en trouverait abattu et tout à fait humilié ; mais c’était mal juger un tel homme. Quelqu’un disait un jour, au philosophe Diogène : « Ces gens-là se moquent de toi. — Et moi, répliqua-t-il, je ne me tiens pas pour moqué. » Diogène pensait donc que ceux-là seuls sont moqués, qui ont la faiblesse de croire l’être, et qui s’en affligent. De même Fabius ne regarda point comme un malheur pour lui l’ignorance de ses concitoyens : il supporta facilement, et avec indifférence, ce qui lui était personnel ; et il prouva la vérité de cette maxime des philosophes : Que l’homme probe et vertueux ne peut être insulté ni déshonoré. L’intérêt seul de l’État lui faisait voir avec chagrin l’imprudence de la foule, qui venait de donner à un étourdi les moyens de satisfaire un fol amour de gloire. Aussi bien, craignant qu’emporté par sa présomption et sa vanité, Minucius ne précipitât quelque événement funeste, il sortit de Rome à l’insu de tous.

Arrivé dans le camp, il trouva Minucius enflé d’un orgueil et d’une forfanterie insupportables. Minucius voulait commander alternativement avec Fabius. Celui-ci n’y consentit point : il partagea avec lui l’armée, persuadé qu’il valait mieux lui laisser le commandement continuel d’une partie, que le commandement alternatif du tout. Il retint donc sous ses ordres la première et la quatrième légion, et la moitié des contingents fournis par les alliés ; et il donna à Minucius l’autre moitié des alliés, avec la deuxième et la troisième légion[1]. Et, comme Minucius prenait de grands airs, et exprimait la joie qu’il ressentait en voyant la dignité

  1. Suivant Tite-Live, au contraire, il donna à Minucius la première et la quatrième, et garda pour lui les deux autres.