Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/432

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nucius, en lui défendant expressément de livrer bataille, et d’en venir à aucun engagement avec l’ennemi. Et non-seulement il lui fit cette défense à titre de chef suprême, mais il lui en fit la recommandation réitérée et la prière instante. Celui-ci ne tint nul compte de ses paroles, et se mit aussitôt à harceler l’ennemi. Un jour, ayant remarqué qu’Annibal avait envoyé fourrager la plus grande partie de son armée, il fondit avec impétuosité sur ceux qui étaient restés, les culbuta jusqu’à leur camp, leur tua beaucoup de monde, et leur fit craindre même qu’il ne forçât leurs retranchements[1]. L’armée d’Annibal étant ensuite rentrée tout entière au camp, il se retira sans éprouver aucune perte, rempli lui-même d’un orgueil démesuré, et inspirant à ses soldats une témérité non moins grande. Bientôt cette nouvelle arriva, mais avec amplification, à Rome ; et Fabius, en l’apprenant, dit qu’il ne craignait rien tant que les succès de Minucius. Mais le peuple, ivre de joie, accourut tout fier sur le Forum ; et le tribun Métilius, montant à la tribune, fit, dans sa harangue, un pompeux éloge de Minucius, et accusa au contraire Fabius, non plus de mollesse et de lâcheté, mais déjà de trahison. Il enveloppait, dans ses accusations, les citoyens les plus puissants et les plus distingués : c’étaient eux, suivant lui, qui d’abord avaient attiré cette guerre, comme un moyen de ruiner la puissance du peuple ; puis ils avaient fait tomber la république entre les mains d’un seul chef irresponsable, qui, par ses lenteurs affectées, laisserait Annibal s’affermir dans le pays, et qui lui donnerait le temps de faire venir d’Afrique une nouvelle armée, pour dominer sur toute l’Italie[2].

Fabius parut ensuite à la tribune ; mais, sans perdre de temps à se défendre contre les attaques du tribun : « Il faut, dit-il, promptement terminer les sacrifices et les

  1. Tite-Live dit que la perte avait été presque égale des deux côtés,
  2. Le discours attribué à Metilius est dans Tite-Live.