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d’une extrême frayeur : le désordre se met dans leurs rangs ; ils n’osent demeurer à leur poste, et ils se replient sur le corps d’armée, en abandonnant le défilé. Annibal saisit le moment, lança sur eux ses troupes légères, et, à peine abandonnée, occupa la position. Le gros de son armée défila ensuite sans danger, entraînant un butin pesant et considérable.

Fabius connut la ruse dès la nuit même, parce que plusieurs des bœufs épars dans leur fuite donnèrent sur ses postes. Mais il craignait de tomber dans quelque piège pendant les ténèbres : il se contenta donc de tenir ses troupes sous les armes, sans faire aucun mouvement. Dès que le jour parut, il donna la chasse aux ennemis, et il fondit sur leur arrière-garde, qui, arrêtée par la difficulté du terrain, se trouva plusieurs fois engagée, et qui fut longtemps en désordre. À la fin, Annibal fit passer, du front à la queue de son armée, un corps d’Ibériens, hommes légers et alertes, accoutumés à gravir les montagnes : ceux-ci se jetèrent sur la pesante infanterie des Romains, et ils forcèrent Fabius de se retirer avec une perte assez considérable.

Alors, plus que jamais, Fabius fut en butte à la critique et au mépris général. Il n’avait point voulu, disait-on, employer la force des armes, certain de mettre Annibal hors de combat par l’habileté des manœuvres et des expédients ; et voilà qu’il avait été lui-même vaincu par ses propres moyens, et qu’il avait prouvé son infériorité ! Annibal, pour enflammer encore le ressentiment des Romains contre Fabius, donna ordre à ses troupes, quand elles furent arrivées auprès des terres du dictateur, d’incendier et de dévaster toutes les campagnes voisines, mais de ne toucher à rien qui lui appartint : il plaça même, sur les limites, des sentinelles, pour empêcher qu’on en enlevât la moindre chose, et qu’on y fit aucun dégât. La nouvelle de ce fait, apportée à Rome, fortifia encore les accusations dont Fabius était l’objet. Les tribuns