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Annibal envahit l’Italie : il remporta d’abord une première victoire sur les bords de la Trébie[1] ; puis il traversa l’Étrurie, en la dévastant, et il jeta dans Rome l’épouvante et la consternation. En même temps, les Romains voyaient des signes et des prodiges : les uns, comme la chute de la foudre, leur étaient bien familiers ; mais d’autres étaient tout à fait extraordinaires, et vraiment surnaturels. On disait, par exemple, que des boucliers avaient sué du sang ; que, dans les campagnes d’Antium, le chaume des blés avait teint de sang la faux des moissonneurs ; qu’il était tombé du ciel des pierres ardentes et enflammées ; que les habitants de Faléries avaient vu le ciel s’ouvrir au-dessus de leur ville, et qu’il en était tombé une quantité de tablettes qui avaient jonché la terre, et dont une portait ces mots : Mars agite ses armes !

Cependant aucun de ces prodiges ne put arrêter le consul Caïus Flaminius, homme d’un caractère fougueux et plein d’ambition, enorgueilli d’ailleurs des succès qu’il avait précédemment obtenus contre toute attente ; car, malgré la défense du sénat et l’opposition de son collègue, il avait livré une bataille aux Gaulois, et il l’avait gagnée[2]. Ces prodiges avaient répandu l’épouvante dans tous les cœurs : Fabius en fut bien un peu affecté, mais moins que le vulgaire, parce qu’il n’y voyait aucun motif fondé de crainte. Lorsqu’il connut le petit nombre des ennemis, et la pénurie dans laquelle ils se trouvaient, il conseilla aux Romains de prendre patience ; de ne pas en venir aux mains avec un homme dont les troupes s’étaient aguerries par plusieurs combats ; d’envoyer des secours aux alliés ; de mettre à couvert, de conserver les villes, et de laisser cette vigueur impétueuse d’Annibal se consumer d’elle-même, comme une flamme qui brille d’un vif éclat, mais qui, n’ayant que des aliments légers, ne peut durer bien longtemps.

  1. En l’an 218 avant J.-C.
  2. Six ans auparavant, dans son premier consulat.