Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vertu, de même qu’une représentation de tragédies, eût une partie satyrique[1]. Zénon, au contraire, quand il entendait des personnes dire que cette majesté dont s’enveloppait Périclès n’était qu’arrogance et que faste, les engageait à se donner une arrogance de la même nature ; parce que, disait-il, tout en affectant de grands airs, nous nous laissons aller à l’émulation de la grandeur réelle, et nous en contractons à notre insu l’habitude.

Ce ne sont pas là les seuls fruits que Périclès ait recueillis du commerce d’Anaxagore : il y apprit encore à se mettre au-dessus des craintes superstitieuses qu’inspire la vue des phénomènes célestes à ceux qui en ignorent les causes, et qui vivent, par l’effet de cette ignorance même, dans une agitation continuelle, et comme possédés d’une terreur sans raison ; tandis que l’homme éclairé par l’étude des lois de la nature éprouve, pour la divinité, une vénération pleine de sécurité et d’espérance, au lieu d’une dévotion superstitieuse et toujours alarmée.

Un jour, à ce que l’on conte, on avait apporté de la campagne à Périclès une tête de bélier, qui n’avait qu’une corne. Le devin Lampon observa que cette corne partait du milieu du front, et qu’elle était forte et pleine : « Deux hommes, Thucydide[2] et Périclès mènent aujourd’hui, dit-il, les affaires de l’État ; mais tout le pouvoir se trouvera bientôt réuni entre les mains de celui chez lequel est né ce prodige. » Pour Anaxagore, il ouvrit cette tête ; et il fit voir que la cervelle ne remplissait pas la cavité destinée à la contenir, mais que, détachée de toutes les parois du crâne, elle s’était resserrée et allongée en forme d’œuf, vers le point où s’enfonçait la racine de la corne. Tous ceux qui étaient présents à cette démonstration admirèrent d’abord

  1. En ce temps-là, les poëtes dramatiques présentaient au concours des tragédies quatre pièces, savoir : trois tragédies et un drame satyrique, sorte de comédie bouffonne, où le chœur était composé de satyres.
  2. Général athénien, différent de l’historien du même nom, qui est de la génération postérieure à Périclès.