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Romains : des hommes qui n’ont eu rien à faire pour vaincre ne peuvent tirer vanité des malheurs amenés par de mauvais conseils. C’est la Fortune seule qui a tout fait. Quelle gloire pour vous, d’aller, même au prix des plus grands dangers, repousser les barbares ; de vous délivrer d’un ennemi qui ne met d’autre but à la victoire que de dévaster, comme le feu, tout ce qu’il peut conquérir ! Hé bien ! si vous êtes des hommes de cœur, et si vous êtes prêts à faire quelque effort, je veux vous ménager une occasion de vaincre sans péril. »

Les jeunes gens accueillirent favorablement ces discours ; et Camille alla trouver les magistrats et les sénateurs d’Ardée, qui agréèrent aussi son projet. Alors il fit prendre les armes à tous ceux qui étaient en âge de combattre, et il les tint enfermés dans la ville, de peur que les ennemis, qui n’étaient pas loin, ne se doutassent de quelque chose. Les Gaulois, après avoir couru tout le pays, s’en retournaient chargés de butin : ils étaient campés dans la plaine, sans précautions, sans ordre, et buvant à s’enivrer. La nuit survint : et bientôt régna dans leur camp un profond silence. Camille, averti par les éclaireurs, sort à la tête des Ardéates, traverse sans bruit tout l’intervalle qui le séparait des Gaulois, et arrive devant leur retranchement vers le milieu de la nuit. Là, il ordonne à ses troupes de jeter de grands cris, et aux trompettes de sonner de tous côtés, afin d’effrayer les barbares, que ce tumulte put à peine tirer du sommeil et de l’ivresse. Quelques-uns seulement, réveillés en sursaut, prirent les armes, se jetèrent au-devant de Camille, et périrent en combattant. Les autres, appesantis par le sommeil et le vin, furent presque tous égorgés avant d’avoir pu s’armer. Le petit nombre de ceux qui s’étaient échappés du camp à la faveur de la nuit, et qui s’étaient dispersés dans la campagne, furent enveloppés, le lendemain matin, par la cavalerie, et taillés en pièces.