Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/285

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Artémisium, pour la défense commune. Mais personne ne les écoutait : les autres Grecs ne songeaient qu’au Péloponnèse ; et ils voulaient rassembler en deçà de l’isthme toutes les forces de la Grèce, et fermer l’isthme d’une muraille, depuis une mer jusqu’à l’autre. Cet abandon irrita les Athéniens, et les jeta dans la tristesse et le découragement. Seuls, comme ils l’étaient, ils ne pouvaient songer à combattre tant de milliers d’ennemis ; et l’unique parti qu’il leur restât à prendre, c’était d’abandonner Athènes, et de monter sur les vaisseaux. Mais le peuple ne pouvait s’y résoudre, persuadé qu’il n’y avait nul espoir de vaincre, nul salut possible, si l’on abandonnait les autels des dieux et les tombeaux des ancêtres. Alors Thémistocle, qui désespérait de déterminer le peuple par des raisonnements humains, eut recours aux prodiges et aux oracles, comme on a recours à la machine dans la tragédie[1]. Le prodige qu’il supposa fut la disparition du dragon de Minerve, qu’on ne vit point, ces jours-là, dans le sanctuaire. Les prêtres trouvèrent intactes les oblations qu’on lui faisait chaque jour, et ils répandirent parmi le peuple, à l’instigation de Thémistocle, que la déesse avait quitté la ville, en leur montrant le chemin de la mer. Puis Thémistocle fit valoir l’autorité de l’oracle : les murailles de bois dont parlait le dieu ne signifiaient, disait-il, rien autre chose que les vaisseaux ; et c’était pour cela que le dieu donnait à Salamine le titre de divine, et non celui de malheureuse et de funeste, parce que cette île donnerait son nom à un éclatant exploit des Grecs.

Enfin son avis prévalut ; et il dressa un décret, par lequel les Athéniens mettaient leur ville sous la garde de Minerve, leur protectrice, et qui commandait que tout homme en âge de porter les armes s’embarquât sur la

  1. Quand on faisait descendre un dieu du ciel, pour le dénouement.