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l’indignité de la conduite de Collatin. Quand son collègue vient d’être mis dans la nécessité de faire périr ses propres enfants, Collatin, pour complaire à des femmes, oserait sauver des traîtres, des ennemis de la patrie ! À la fin, le consul, lassé de cette résistance, ordonne aux licteurs de se saisir de Vindicius. Les licteurs écartent la foule, mettent la main sur Vindicius, et frappent ceux qui veulent le leur arracher ; mais les amis de Valérius prennent la défense de l’esclave, et le peuple invoque à grands cris la présence de Brutus. Brutus revient sur la place. À son arrivée, il se fait un grand silence : « J’ai suffi, dit-il, pour juger mes fils ; mais j’ai laissé les autres conjurés au jugement du peuple : c’est à lui de prononcer. Chacun peut parler, et proposer ce qu’il voudra. » Il ne fut pas besoin d’autres discours : on alla aux voix ; et les accusés, condamnés à l’unanimité des suffrages, eurent la tête tranchée.

Collatin était déjà suspect, à cause de sa parenté avec les rois ; et son nom de famille était devenu odieux, à cause de l’horreur qu’inspirait Tarquin. Quand il vit ce qui se passait, et que le peuple était indigné contre lui, il se démit du consulat, et il s’éloigna de Rome. On tint les comices pour une nouvelle élection, et Valérius fut, tout d’une voix, proclamé consul : récompense bien due à son zèle. Il crut juste de la faire partager à Vindicius. Il l’affranchit, et il lui fit donner, par un décret du peuple, la qualité de citoyen, avec le droit de suffrage dans celle des tribus qu’il voudrait choisir. C’était le premier affranchi qui eût jamais joui d’une telle faveur ; et ce fut bien longtemps plus tard qu’Appius, pour gagner les bonnes grâces de la multitude, donna généralement à tous les affranchis le droit de suffrage. L’affranchissement complet s’appelle, encore aujourd’hui, vindicte du nom de ce Vindicius[1].

  1. Ou plutôt de l’expression vindicare in libertatem, et du coup de baguette qui marquait l’affranchissement.