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main. Lucius Brutus conçut le dessein de changer la forme du gouvernement, et il s’en ouvrit d’abord à Valérius : il trouva en lui un ardent auxiliaire ; et, avec lui, il parvint à chasser les rois[1]. Tant qu’on put croire que les Romains nommeraient, à la place du roi, un général unique, Valérius s’abstint de toute démarche, estimant que le pouvoir revenait de droit à Brutus, comme premier auteur de la liberté. Mais le peuple ne pouvait plus souffrir le nom de monarchie, et semblait plus favorable à l’idée d’un partage de l’autorité souveraine : il demanda même qu’on nommât deux chefs. Valérius, dès ce moment, compta d’être associé à Brutus. Il se trompa cependant ; et Brutus, contre son propre gré, eut pour collègue, au lieu de Valérius, Tarquin Collatin, mari de Lucrèce. Ce n’est pas que Collatin eût plus de mérite que Valérius ; mais les principaux de la ville craignaient les menées des rois, qui mettaient tout en œuvre pour regagner le peuple : ils voulurent avoir pour chef leur ennemi le plus implacable, un homme que rien ne ferait fléchir.

Valérius, indigné qu’on ne le crût pas capable de tout faire pour sa patrie, parce qu’il n’avait éprouvé de la part des tyrans aucune injure personnelle, cessa d’aller au sénat, renonça aux plaidoyers, et se retira complètement des affaires de l’État. Le peuple en eut de l’inquiétude : on craignit que Valérius, dans son ressentiment, ne conspirât avec les rois, et qu’il ne renversât la république encore mal affermie. Mais quand Brutus, qui en soupçonnait d’autres encore que Valérius, eut proposé au sénat de jurer sur les sacrifices, et qu’il eut assigné un jour pour le serment, Valérius descendit au Forum, avec une visible satisfaction, et il jura le premier qu’il ne pardonnerait jamais ni ne céderait à Tarquin, mais qu’il le combattrait, au contraire, de toutes ses forces, pour la défense de la

  1. En l’an 509 avant J.-C.