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vait attiré et le traitait avec honneur. Fâché du mauvais accueil fait à Solon, il lui dit, en forme d’avis : « Solon, il faut ou ne jamais approcher des rois, ou ne leur dire que des choses agréables. — Dis plutôt, répondit Solon, qu’il faut ou ne pas les approcher, ou ne leur dire que des choses utiles. »

Crésus, en ce temps-là, montra donc un grand mépris pour Solon. Mais lorsque, dans la suite, vaincu par Cyrus, il eut vu l’ennemi maître de Sardes ; lorsque lui-même, prisonnier et condamné à être brûlé vif, il montait déjà, les mains liées, sur le bûcher, en présence de Cyrus et de tous les Perses, alors il éleva la voix, aussi haut que ses forces le lui permettaient, et il s’écria trois fois : « Ô Solon ! » Cyrus, étonné, lui envoya demander quel homme ou quel dieu c’était que ce Solon, le seul qu’il implorât dans la dernière extrémité. Crésus, sans rien déguiser, répondit : « C’était un des sages de la Grèce. Je le fis venir, non pour l’écouter et pour apprendre de lui ce que j’avais besoin de savoir, mais afin qu’il contemplât ma puissance, et qu’il allât ensuite vanter dans la Grèce cette félicité, dont la perte me cause aujourd’hui plus de mal que sa jouissance ne m’a jamais fait de bien : je ne goûtais alors qu’un bonheur imaginaire ; tandis que le revers de la fortune m’a plongé dans un malheur aussi réel qu’irrémédiable. Cet homme augurant, d’après la manière dont je vivais alors, ce qui m’arrive aujourd’hui, m’avertissait d’envisager la fin de ma vie, de ne me pas laisser aller aux élans de l’orgueil, et de me défier de ce bonheur incertain. » On rapporta cette réponse à Cyrus ; et celui-ci, plus sage que Crésus, et qui voyait la parole de Solon confirmée par un si frappant exemple, ne se contenta pas de rendre à Crésus sa liberté : il le traita d’une manière honorable tout le reste de sa vie ; et Solon eut, par un seul mot, la gloire de sauver la vie à un roi, et de donner à un autre une sage leçon.

Cependant l’absence de Solon laissait Athènes en proie