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Cependant ses trois amis n’en furent pas moins appelés les Chréocopides[1].

L’ordonnance de Solon déplut également aux deux partis : elle offensa les riches, qui perdaient leurs créances, et elle mécontenta encore plus les pauvres, frustrés du nouveau partage des terres qu’ils avaient espéré, et qui avaient compté sur une parfaite égalité de biens, dans le genre de celle qu’avait établie Lycurgue. Mais Lycurgue était le onzième descendant d’Hercule ; il avait régné plusieurs années à Lacédémone ; il y jouissait d’un grand crédit ; il avait beaucoup d’amis, et un pouvoir considérable : tous avantages qui lui furent d’un grand secours, pour opérer sa réforme politique ; et, avec tout cela, il fut obligé d’employer la force, plus encore que la persuasion, et il lui en coûta un œil pour faire passer la plus importante de ses institutions, la plus propre à rendre Sparte heureuse, et à y maintenir la concorde : à savoir, la suppression de toute pauvreté et de toute richesse. Solon ne pouvait aspirer jusque-là, lui né d’une famille plébéienne, et dans une condition médiocre[2] ; mais du moins ne resta-t-il pas au-dessous des moyens qu’il avait en main, sa sagesse, et la confiance qu’il inspirait. Aussi bien, il témoigne lui-même que sa loi offensa la plupart des Athéniens, qui s’attendaient à autre chose :

Alors ils disaient de moi merveilles ; maintenant, irrités contre moi,
Tous ils me regardent d’un œil d’ennemi.


Et pourtant, ajoute-t-il, tout autre qui eût eu, comme moi, ce pouvoir,

N’eût point eu d’arrêt, point de fin,
Qu’il n’eût mis le désordre, et qu’il n’eût écrémé le lait.

  1. C’est-à-dire les retrancheurs de dettes. Il y a, dans ce nom, un jeu de mots, les Athéniens se disant fils de Cécrops ou Cécropides.
  2. Il descendait de Codrus, suivant la tradition reçue, mais sa famille n’occupait pas un rang très-élevé dans Athènes.