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mencèrent à réformer leurs mœurs ; tous se sentirent au cœur un désir de vivre sous de sages lois, au sein de la paix, occupés à cultiver la terre, à élever en repos leurs enfants, et à honorer les dieux. Ce n’étaient, dans toute l’Italie, que fêtes, que danses et festins : on s’invitait les uns les autres, on se visitait sans crainte ; on donnait, on recevait, une cordiale hospitalité. Il semblait que la sagesse de Numa fût une source abondante, d’où la justice et la vertu s’épanchaient sur le monde, et que le calme de son âme eût passé dans tous les cœurs. Aussi les exagérations des poëtes sont-elles, dit-on, trop faibles encore, pour peindre le bonheur de ce temps : « La brune araignée fait sa toile sur l’anneau de fer des boucliers ; » et encore : « La rouille consume et les lances à la pointe aiguë, et les épées au double tranchant ; on n’entend pas retentir le son des trompettes d’airain, et le doux sommeil n’est plus ravi à la paupière[1]. » Il n’y eut, en effet, durant tout le règne de Numa, ni guerre, ni sédition, ni désir de nouveauté dans le gouvernement. Numa ne s’attira la haine ni l’envie de personne ; et il ne se trouva pas un ambitieux qui osât conspirer contre lui, ou tenter un soulèvement. Soit crainte des dieux, qui donnaient à cet homme de sensibles preuves de leur protection, soit respect pour sa vertu, soit faveur de la Fortune, qui, sous Numa, conserva la vie des hommes exempte de toute souillure et de toute corruption, ce règne fut un frappant exemple et la preuve de cette vérité politique, que Platon osa proclamer bien des siècles plus tard, qu’il n’y a, pour les maux des hommes, qu’un remède unique et efficace, c’est que, par une faveur particulière des dieux, la puissance souveraine et la philosophie se trouvent réunies dans une même personne, qui rende à la vertu sa force,

  1. C’est un fragment des hymnes de Bacchylide, qui se retrouve dans le recueil de Stobée, mais plus complet qu’ici ; car Plutarque a cité de mémoire, plutôt que transcrit, et sans se piquer d’être exactement fidèle au texte de l’auteur.