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nulle couleur. Ce n’est plus Amyot ; mais ce n’est pas davantage, c’est peut-être encore moins Plutarque. Souvent la diffusion de Dacier est extrême ; mais c’est une diffusion fatigante, ennuyeuse, insipide, tandis qu’il y a, jusque dans le bavardage du vieil interprète, je ne sais quelle grâce et quelle séduction qui vous entraînent.

L’abbé Ricard a traduit Plutarque tout entier, d’abord les Morales, puis après les Vies. Ce dernier ouvrage a été imprimé un grand nombre de fois ; et on le réimprime encore tous les deux ou trois ans, en l’émaillant, à chaque édition nouvelle, de nouvelles fautes d’impression, comme si l’on travaillait, de dessein prémédité, à lui faire perdre insensiblement toute ressemblance avec l’original. C’est à travers Ricard qu’aujourd’hui l’on juge Plutarque historien. Le succès de cette traduction ne prouve qu’une chose, c’est que la possession d’un Plutarque est un besoin assez universel, ou, si l’on veut, qu’il est impossible de dépouiller complètement ces intéressants tableaux de tous leurs attraits. Ricard est fort inférieur à Dacier, et par la science, et par l’exactitude, et par le style même. Il y a, dans ses "Vies", des fautes contre le sens que n’avait point faites Dacier ; et ses remarques mêmes prouvent qu’il n’avait qu’une connaissance assez superficielle de la langue et de la littérature grecques. On ne peut pas dire qu’il soit diffus ; et il y a des passages où son expression ne manque ni de pittoresque ni d’énergie. Mais les impropriétés de termes, les répétitions, les tours vicieux ou obscurs, la roideur, la sécheresse, accusent à chaque instant, ou la précipitation du traducteur, ou sa lassitude, ou son impuissance. Quant à ses vers, car il avait la manie de rimer les citations, ce qu’on en peut dire de mieux, c’est qu’ils sont ridicules : aussi bien, il est difficile de ne se pas jeter hors du sens commun, dès qu’on essaye, poëte ou non, de traduire des vers grecs en vers français, et avec la prétention de dire exactement ce qu’ils disent. Enfin, Ricard est à Dacier ce que Tallemant, suivant le satirique, était au vieil interprète. C’est Dacier qu’il a traduit, bien plus encore que Plutarque même : heureux s’il lui avait été constamment