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Plutarque de Reiske, où Reiske n’a peut-être pas mis la main, et nous ignorons que la moitié de ce qu’il y a de bon dans cette édition trop vantée, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de bon dans les Vies, Reiske, ou plutôt ses ayants droit, l’ont pris dans Dacier, qui se vend à la livre, peu s’en faut, comme le papier hors d’usage. On risque de se faire tort, dans l’opinion de nos dédaigneux, en disant que Dacier était un homme d’un grand talent, et qui en a donné des preuves ; et que personne au monde n’a jamais mieux que lui, ni plus à fond, connu l’antiquité. Mais le respect de la vérité me force de braver ce ridicule. J’ai trouvé, dans la préface de sa traduction des Vies de Plutarque, telle page que n’eussent pas désavouée les plus illustres contemporains de Dacier. J’ai reconnu que si l’on avait un texte à peu près pur du grand ouvrage historique de Plutarque, c’est Dacier qui en avait fourni les matériaux, en établissant, d’après les manuscrits, les véritables leçons à la place des leçons défectueuses. Enfin il m’est resté démontré que Dacier n’avait laissé, pour l’interprétation du sens, que peu de chose à faire à ceux qui viendraient après lui, traducteurs ou commentateurs. Il ne s’ensuit pas que le travail de Dacier soit, sous tous les rapports, un chef-d’œuvre. Je ne parle ici que du monument philologique, qui est admirable en son genre, tout dénué qu’il soit de cet appareil soi-disant critique, dont on fait aujourd’hui la condition de ce qu’on nomme les travaux de science : haillons prétentieux qu’on traîne du bas des pages d’un livre au bas des pages d’un autre livre, sans même y coudre un seul point ; monnaie de mauvais aloi qu’on se passe de main en main sans y regarder, sans rien peser, sans rien compter : il suffit que la somme fasse un monceau. Les défauts de l’œuvre de Dacier sont tous dans sa manière de traduire. Cet écrivain, qui rencontre quelquefois si bien quand il exprime ses propres pensées, semble mal à son aise dès qu’il s’agit de la pensée d’autrui ; et, de toutes les qualités dont nous l’avions vu doué, il ne conserve, la plupart du temps, que sa clarté, et sa correction grammaticale. Il faut bien avouer que cette traduction n’est guère agréable à lire. Le style en est lourd, monotone et triste : nulle variété, nulle hardiesse,