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d’un commerce habituel qui use le désir et les forces : en se quittant, ils se laissaient l’un à l’autre un reste de flamme amoureuse, et un aiguillon de tendresse.

Après avoir mis, dans les mariages, tant de pudeur et de réserve, Lycurgue n’eut pas moins d’attention à en bannir toute vaine et féminine jalousie. Il estimait que le bien consiste non-seulement à exclure du mariage la violence et le désordre, mais encore à permettre, à ceux qu’on en jugerait dignes, d’avoir des enfants en commun. Il fallait se moquer, pensait-il, de ceux qui font du mariage une société isolée, sans aucun partage avec les autres, et qui vengent, par des meurtres et des guerres, toute entreprise sur leurs droits. Il fut permis à un vieillard, mari d’une jeune femme, d’introduire auprès d’elle un jeune homme honnête, pour qui il avait de l’estime et de l’amitié, et de reconnaître, comme s’il était de lui, l’enfant qui naissait d’un sang généreux. De même, si un galant homme s’était pris d’admiration pour une femme de bien et mère de beaux enfants, qui fût l’épouse d’un autre, il lui était permis de la demander au mari, pour semer, comme en terre féconde, et faire naître des enfants bien conformés, et à qui des gens de cœur auraient transmis leur sang et leur lignée. Premièrement, en effet, Lycurgue prétendait que les enfants n’étaient pas chacun en particulier à leurs pères, mais qu’ils appartenaient tous ensemble à l’État. Il voulait donc que les citoyens eussent pour pères, non pas les premiers venus, mais les plus méritants. En second lieu, il taxait de sottise et de vanité les règlements des autres législateurs sur le mariage. « Ils cherchent, disait-il, pour les chiennes et les juments les meilleurs chiens et les meilleurs étalons ; ils les obtiennent des possesseurs, à force de prières, ou à prix d’argent : les femmes, au contraire, ils les mettent sous clef, et ils font bonne garde autour d’elles, décidant qu’elles ne doivent faire des enfants que de leurs maris, fussent-ils imbéciles, décrépits,