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ou plutôt, comme dit Théophraste, d’être enviées, et de les avoir, pour ainsi dire, appauvries par la communauté des repas et par la frugalité de la table ; car il n’était plus possible de faire usage de la magnificence, d’en jouir et de l’étaler, dès que le pauvre et le riche venaient partager le même repas. Sparte était donc la seule ville, sous le soleil, où se vérifiât ce qu’on dit communément, que Plutus est aveugle, et où il fut gisant à terre, sans vie, sans mouvement, à la façon des peintures. En effet, il n’était permis à personne de manger chez soi d’avance, et d’arriver rassasié aux repas communs. On observait attentivement celui qui s’abstenait de boire et de manger avec les autres, et on lui reprochait publiquement son intempérance, et la délicatesse qui lui faisait mépriser la nourriture commune.

Aussi, de toutes les institutions de Lycurgue, ce fut, dit-on, celle qui irrita le plus les riches. Ils s’assemblèrent en grand nombre, poussant contre lui des cris de fureur et d’indignation ; et Lycurgue, assailli de tous côtés à coups de pierres, finit par s’enfuir précipitamment de la place publique. Il avait gagné les devants, et il s’était réfugié dans un temple, sans qu’on eût pu l’atteindre. Un jeune homme, nommé Alcandre, de bonne nature au demeurant, mais vif et emporté, s’obstina à sa poursuite, et, comme Lycurgue se tournait vers lui, le frappa de son bâton, et lui creva un œil. Lycurgue ne se laisse point abattre à ce coup : il se présente aux citoyens tête levée, et il leur montre son visage tout sanglant et son œil crevé. À cette vue, ils sont saisis de honte et de confusion : ils livrent Alcandre à Lycurgue, qu’ils reconduisent dans sa maison, en lui témoignant une sincère condoléance. Lycurgue, après les avoir remerciés, les congédie, et il fait entrer Alcandre chez lui. Là, il ne lui fit subir aucun mauvais traitement, ne lui dit pas un mot de reproche ; seulement il fit retirer les gens qui le servaient d’habitude, et il ordonna au jeune homme de le