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lecteurs du vrai Plutarque regrettent le plus sinon l’absence, du moins la trop fréquente éclipse, dans l’original d’Amyot ; tandis que cette énergie pittoresque, cette puissance d’imagination, que M. Villemain admirait dans Plutarque, a disparu au sein de la fluide et infinie diffusion du traducteur. Je n’ai pas besoin de faire observer, quant au costume, qu’Amyot habille tout le monde, Grecs et Romains, à la mode de son temps, et qu’il ne faut pas chercher, dans son Plutarque, ce qu’on appelle, je crois, la couleur locale. Au reste, ne demandons point à Amyot ce qu’il n’a pu nous donner. Songeons au siècle où il vivait ; ne le jugeons point du haut de nos théories. L’antiquité était mal connue, au seizième siècle, sinon peu étudiée. D’ailleurs, la langue française était, en ce temps-là, plus latine que grecque, quoi qu’en dise Courier, et plus gauloise encore que latine. C’est aux traducteurs contemporains d’Amyot qu’il faut comparer Amyot, et non pas à ceux de notre siècle. Il est plus antique cent fois que Bourgoing, que Régius, que tous les traducteurs de grec qui ont écrit au seizième siècle ; et il ne pâlit même pas, pour la vérité, devant d’Ablancourt et Tourreil, qui ont écrit au dix-septième.

Pourquoi faut-il que le Plutarque d’Amyot ne soit plus guère aujourd’hui qu’une curiosité littéraire ? Le vulgaire ne l’entend pas ; et les gens vraiment lettrés savent trop qu’ils ont à se mettre en garde contre les choses, pour se figurer qu’en lisant Amyot, ils lisent Plutarque. Ce qu’ils cherchent dans Amyot, c’est Amyot lui-même ; c’est le charmant écrivain français, ce sont les grâces naïves de ce vieux style et de ce vieux langage. J’admire sincèrement Amyot ; je voudrais pouvoir lui rendre ses lecteurs d’autrefois. Que dis-je ? Je voudrais avoir le talent de corriger sa grande œuvre, et d’en effacer les innombrables taches qui la déparent à nos yeux trop clairvoyants et trop sévères. Je me contenterais de cette gloire ; et je ne publierais pas une nouvelle traduction des Vies de Plutarque. Mais, pour remplacer par d’autres phrases, par d’autres mots, ces mots et ces phrases où s’est trompé le vieil interprète ; pour tailler d’une main sûre dans ce tissu trop souvent lâche et traînant, il faudrait être Amyot lui-même, ou tout au moins le correcteur de Longus.