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peare, dont le génie fier et libre n’a jamais été mieux inspiré que par Plutarque, et qui lui doit les scènes les plus sublimes et les plus naturelles de son Coriolan et de son Jules César ? Montaigne, Montesquieu, Rousseau, sont encore trois grands génies, sur lesquels on retrouve l’empreinte de Plutarque, et qui ont été frappés et colorés par sa lumière. Cette immortelle vivacité du style de Plutarque, s’unissant à l’heureux choix des plus grands sujets qui puissent occuper l’imagination et la pensée, explique assez le prodigieux intérêt de ses ouvrages historiques. Il a peint l’homme ; et il a dignement retracé les plus grands caractères et les plus belles actions de l’espèce humaine. »

Il y aurait toutefois un aveuglement véritable à nier la justesse d’autres reproches qu’on a aussi adressés à Plutarque. Plutarque écrivait dans un siècle de décadence ; et il a subi, autant et plus que personne, la fatale influence de son époque. Sa langue n’est plus celle de Platon, de Xénophon, de Thucydide ; cette langue si belle et si riche, souple et forte tout à la fois ; capable de tout expliquer et de tout peindre ; immense en un mot comme le génie ; une pourtant et homogène, et dont la libre allure ne perd rien de sa grâce, pour se soumettre aux impérieuses exigences de la logique et de l’analogie. Plutarque n’a pas même essayé, comme ceux qu’on appelle atticistes, d’en retrouver le secret perdu depuis tant d’années. Il prend ses termes de toute main ; il se teint des couleurs de tous les écrivains dont il reproduit les pensées : peu soucieux d’effacer les disparates, et d’adoucir les tons criards. De l’imagination, du pittoresque, voilà tout, ou presque tout ; rien de fondu, rien d’achevé : nulle conformité, nulle règle, nulle mesure. Sa façon d’écrire est plus aiguë, dit Amyot dans son expressif langage, plus docte et pressée, que claire, polie ou aisée. Dacier compare ce style à ces anciens bâtiments dont les pierres ne sont ni polies ni bien arrangées, mais bien assises, et ont plus de solidité que de grâce et ressentent plus la nature que l’art.

De tous les écrivains de l’antiquité classique, Plutarque est,