Page:Plutarque - Les oeuvres morales et meslees, trad Amyot, 1572.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

faire et de dire chose qui soit honteuse : car ceux qui reprennent leurs enfans des fautes qu'ils commettent eux-mesmes, ne s'advisent pas, que soubs le nom de leurs enfans il se condamnent eux-mesmes : et generalement tous ceux qui vivent mal ne se laissent pas la hardiesse d'oser seulement reprendre leurs esclaves, tant s'en faut qu'ils peussent franchement tanser leurs enfans. Mais, qui pis est, en vivant mal ils leur servent de maistres et de conseillers de mal faire : car là où les vieillards sont deshontez, il est bien force que les jeunes gens soient de tout poinct effrontez : pourtant faut-il tascher de faire tout ce que le devoir requiert, pour rendre les enfans sages, à l'imitation de celle nobles Dame Eurydicé, laquelle estant de nation Esclavonne, et par maniere de dire triplement barbare, neantmoins pour avoir moyen de pouvoir instruire elle-mesme ses enfans, prit la peine d'apprendre les lettres, estant desja bien avant en son aage. L'Epigramme qu'elle en feit, et qu'elle dedia aux Muses, tesmoigne assez comment elle estoit bonne mere, et combien elle aimoit cherement ses enfans :

  Eurydicé Hierapolitaine
  A de ces vers aux Muses fait estraine
  Qui en son cœur luy feirent concevoir
  L'honneste amour d'apprendre et de sçavoir :
  Si que ja mere, et ses fils hors d'enfance,
  Pour acquerir des lettres cognoissance,
  Où sont compris des Sages les discours,
  Elle donna travail à ses vieux jours.

Or de pouvoir observer toutes les regles et preceptes ensemble, que nous avons cy dessus declarez, à l'adventure est-ce chose qui se peult plustost souhaitter, que conseiller : mais d'en imiter et ensuivre la plus grande partie, encor qu'il y faille de l'heur et de la prosperité, si est-ce chose dont l'homme par nature peult bien estre capable, et dequoy il peult bien venir à bout.