Page:Plutarque - Les oeuvres morales et meslees, trad Amyot, 1572.djvu/27

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d'estre amis, et jamais ne disent une parole franche : ils caressent les riches, et mesprisent les pauvres. Il semble qu'ils ayent appris l'art de chanter sur la lyre pour seduire les jeunes gens : ils esclattent quand ceux qui les nourrissent font semblant de rire : hommes faulx et supposez, et la bastardise de la vie humaine, qui vivent au gré des riches, estans nez libres de condition, et se rendans serfs de volonté : qui pensent qu'on leur fait outrage, s'ils ne vivent en toute superfluité, et si on ne les nourrit plantureusement sans rien faire : tellement que les peres qui voudront faire bien nourrir leurs enfans, doivent necessairement chasser d'aupres d'eux ces mauvaises bestes-là : et aussi en faut-il esloigner leurs compaignons d'eschole, s'il y en a aucuns vicieux, car ceux-là seroient suffisans pour corrompre et gaster les meilleures natures du monde. Or sont bien les regles que j'ay jusques icy baillees, toutes bonnes, honestes et utiles : mais celle que je veux à ceste heure declarer est equitable et humaine : c'est, que je ne voudrois point que les peres fussent trop aspres et trop durs à leurs enfans, ains desirerois qu'ils laissassent aucunefois passer quelque faute à un jeune homme, se souvenans qu'ils ont autrefois esté jeunes eux-mesmes. Et tout ainsi que les medecins meslans et destrempans leurs drogues qui sont ameres avec quelque jus doux, ont trouvé le moyen de faire passer l'utilité parmy le plaisir : aussi faut-il que les peres meslent l'aigreur de leurs reprehensions avec la facilité de clemence : et que tantost ils laschent un petit la bride aux appetis de leurs enfans, et tantost aussi ils leur serrent le bouton, et leur tiennent la bride roide, en supportant doucement et patiemment leurs fautes : ou bien s'ils ne peuvent faire qu'ils ne s'en courroucent, à tout le moins que leur courroux s'appaise incontinent. Car il vaut mieux qu'un pere soit prompt à se courroucer à ses enfans, pourveu qu'il s'appaise aussi facilement, que tardif à se courroucer, et difficile aussi à pardonner : car quand un pere est si severe qu'il ne veut rien oublier, ne jamais se reconcilier, c'est un grand signe qu'il hait ses enfans : pourtant fait-il bon quelquefois, ne faire pas semblant de veoir aucunes de leurs fautes, et se servir en cest endroit de l'ouyë un peu dure et de la veuë trouble qu'apporte la vieillesse ordinairement : de sorte qu'ils ne facent pas semblant de voir ce qu'ils voient, ne d'ouïr ce qu'ils oyent. Nous supportons bien quelques imperfections de nos amis, trouverons-nous estrange de supporter celles de nos enfans ? bien souvent que nos serviteurs yvrongnent, nous ne voulons pas trop asprement recercher leur yvrongnerie. Tu as esté quelquesfois estroit envers ton fils, sois luy aussi quelquefois large à luy donner. Tu t'es aucunefois courroucé à luy, une autrefois pardonne luy. Il t'a trompé par l'entremise de quelqu'un de tes domestiques mesmes, dissimule-le, et maistrise ton ire. Il aura esté en l'une de tes mestairies, ou il aura pris et vendu, peut estre, une paire de bœufs : il viendra le matin te donner le bon jour sentant encore le vin, qu'il aura trop beu avec ses compaignons le jour de devant, fais semblant de l'ignorer : ou bien il sentira le perfum, ne luy en dis mot. ce sont les moyens de domter doucement une jeunesse petillante. Vray est que ceux qui sont de leur nature sujects aux voluptez charnelles, et ne veulent pas prester l'oreille quand on les reprend, il les faut marier, pource que c'est le plus certain arrest, et le meilleur lien que lon sçauroit bailler à la jeunesse : et quand on est venu à ce poinct-là, il leur faut cercher femmes qui ne soient ne trop plus nobles, ne trop plus riches qu'eux : car c'est un precepte ancien fort sage, Pren la selon toy : pour ce que ceux qui les prennent beaucoup plus grandes qu'eux, ne se donnent garde qu'ils se trouvent non marys de leurs femmes, mais esclaves de leurs biens. J'adjousteray encore quelques petits advertissements, et puis mettray fin à mes preceptes. Car devant toutes choses il faut que les peres se gardent bien de commettre aucune faute, ny d'omettre aucune chose qui appartienne à leur droit, à fin qu'ils servent de vif exemple à leurs enfans, et qu'eux regardans à leur vie, comme dedans un clair miroir, s'abstiennent à leur exemple de