Page:Plutarque - Les oeuvres morales et meslees, trad Amyot, 1572.djvu/26

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aage là, facent le guet, et tiennent en bride leurs jeunes jouvenceaux, en les preschant, en les menassant, en les priant, en leur remonstrant, en leur conseillant, en leur promettant, en leur mettant devant les yeux des exemples d'autres, qui pour avoir ainsi esté debordez et abandonnez à toutes voluptez se sont abysmez en grandes miseres et griefves calamitez : et au contraire, d'autres qui pour avoir refrené leurs concupiscences ont acquis honneur et glorieuse renommee : « car ce sont comme les deux elements et fondements de la vertu, l'Espoir de pris, et la Crainte de peine : » pource que l'esperance les rend plus prompts à entreprendre toutes choses belles et louables, et la crainte les rend tardifs à en oser commettre de vilaines et reprochables. Brief il les faut bien soigneusement divertir de hanter toutes mauvaises compaignies : autremenmt ils rapporteront tousjours quelque tache de la contagion de leur meschanceté. C'est ce que Pythagoras commandoit expressément en ces preceptes enigmatiques sous paroles couvertes, lesquels je veux en passant exposer, pour ce qu'ils ne sont pas de petite efficace pour acquerir vertu : comme quand il disoit, « Ne gouste point de ceux qui ont la queuë noire : » c'est autant à dire comme, ne frequente point avec hommes diffamez et denigrez pour leur meschante vie. « Ne passe point la balance : » c'est à dire, qu'il faut faire grand compte de la Justice, et se donner bien garde de la transgresser. « Ne te sied point sur le boisseau : » c'est à dire, qu'il faut fuir oisiveté pour se prouvoir des choses necessaires à la vie de l'homme. « Ne touche pas à tous en la main : » c'est à dire, ne contracte pas legerement avec toute personne. « Ne porter pas un anneau estroit : c'est à dire, qu'il faut vivre une vie libre, et ne se mettre pas soy-mesme aux ceps. « N'attizer pas le feu avec l'espee : » c'est à dire n'irriter pas un homme courroucé : car il n'est pas bon de le faire, ains faut ceder à ceux qui sont en cholere. « Ne manger pas son cœur : » c'est à dire, n'offenser pas son ame et son esprit en le consumant de cures et d'ennuis. « S'abstenir de febves : » c'est à dire, ne s'entremettre point du gouvernement de la chose publique, pour ce qu'anciennement on donnoit les voix avec des febves, et ainsi procedoit-on aux elections des Magistrats. « Ne jetter pas la viande en un pot à pisser : » c'est, qu'il ne faut pas mettre un bon propos en une meschante ame : car la parole est comme la nourriture de l'ame, laquelle devient pollue par la meschanceté des hommes. « Ne s'en retourner pas des confins : » c'est à dire quand on se sent pres de la mort, et que lon est arrivé aux extremes confins de ceste vie, le porter patiemment, et ne s'en descourager point. Mais à tant je retourneray à mon propos. Il faut, comme j'ay dit au paravant, eslongner les enfans de la compaignie et frequentation des meschans, specialement des flatteurs. Car je repeteray en cest endroit ce que j'ay dit souvent ailleurs, et à plusieurs peres : c'est qu'il n'est point de plus pestilent genre d'hommes, et qui gaste d'avantage ne plus promptement la jeunesse, que font les flatteurs, lesquels perdent et les peres et les enfans, rendans la vieillesse des uns, et la jeunesse des autres miserable, leurs presentans en leurs mauvais conseils un appast qui est inevitable, c'est la volupté, dont ils les emorchent. Les peres riches preschent leurs enfans de vivre sobrement ceux-cy les incitent à yvrongner : ceux-là les convient à estre chastes, ceux-cy à estre dissolus : ceux-là à espargner, ceux-cy à despendre : ceux là, à travailler, ceux cy à jouër et ne rien faire : disans, qu'est-ce que de nostre vie ? ce n'est qu'un poinct de temps : il faut vivre pendant que lon a le moyen, et non pas languir. Qu'est-il besoing se soucier des menaces d'un pere qui n'est qu'un vieil resueur, qui radotte, et a la mort entre les dents ? un de ces matins nous le porterons en terre. Un autre viendra qui luy amenera quelque garce prise en plein bordeau, et luy donnera à entendre qu'elle sera sa femme : Les autres lisent et luy produira sa femme. pour à quoy fournir, le jeune homme desrobbera son pere, et ravira en un coup ce que le bon homme aura espargné de longue main, pour l'entretenement de sa vieillesse. Brief, c'est une malheureuse generation. Ils font semblant