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aux esclaves mesmes, qui ont un peu d'honnesteté. Or quant à tout ce que j'ay discouru et conseillé par cy devant, touchant l'honesteté, modestie, et temperance des jeunes enfans, je l'ay dit franchement et resoluëment, sans en rien craindre ne douter : mais quant au poinct que je veux toucher maintenant, je n'en suis pas bien certain, ne bien resolu, ains en suis comme la balance qui est entre deux fers, et ne panche point plus d'un costé que d'autre : tellement que je fais grande doute, si je le doy mettre en avant, ou bien le destourner : mais pour le moins faut-il prendre la hardiesse de declarer que c'est. La question est, Si lon doit permettre à ceux qui aiment les enfans, de converser et hanter avec eux, ou bien les en reculer et chasser arriere, de sorte qu'ils n'en approchent, ny ne parlent aucunement à eux. Car quand je considere certains peres severes et austeres de nature, qui pour la crainte qu'ils ont que leurs enfans ne soient violez, ne veulent aucunement souffrir, que ceux qui les aiment parlent en sorte quelconque à eux : je crains fort d'en establir et introduire la coustume : mais aussi quand de l'autre costé je viens à me proposer Socrates, Platon, Xenophon, Aeschines, Cebes, et toute la suitte de ces grands personnages, qui jadis ont approuvé la façon d'aimer les enfans, et qui par ce chemin ont poulsé de jeunes gens à apprendre les sciences, et à s'entremettre du gouvernement de la chose publique, et se former au moule de la vertu, je deviens alors tout autre, et encline à vouloir imiter et ensuivre ces grands hommes-là, lesquels ont Euripide pour tesmoing en un passage où il dit,

  Amour n'est pas tousjours celuy du corps,
  Un autre y a qui n'appéte rien, fors
  L'ame qui soit vestue d'innocence,
  De chasteté, justice, et continence.

Aussi ne faut-il pas laisser derriere un passage de Platon, là où il dit moitie en riant, moitié à bon esciant, qu'il faut que ceux qui ont fait quelques grandes prouësses en un jour de battaille, au retour ayent privilege de baiser tel qu'il leur plaira entre les beaux. Je diray donc, qu'il faut chasser ceux qui ne desirent que la beauté du corps, et admettre ceux qui ne cerchent que la beauté des ames : ainsi faut-il fuïr et defendre les sortes d'amour, qui se prattiquent à Thebes et en Elide, et ce que lon appelle le ravissement en Candie, mais bien le faut-il recevoir tel comme il se prattique à Athenes, et en Laced@emone : toutefois quant à cela, chacun suyve en ce propos l'opinion qu'il en aura, et ce que bon luy semblera. Au reste aiant desormais assez discouru touchant l'honnesteté et bonne nourriture des enfans, je passeray maintenant à l'aage de l'adolescence, apres que j'auray seulement dit ce mot, Que j'ay souvent repris et blasmé ceux qui ont introduit une tresmauvaise coustume de bailler bien des maistres et gouverneurs aux petits enfans, et puis lascher tout à un coup la bride à l'impetuosité de l'adolescence : là où, au contraire, il falloit avoir plus diligemment l'oeil, et faire plus soigneuse garde d'eux qu'il ne falloit pas des jeunes enfans : car qui ne sçait que les fautes de l'enfance sont petites, legeres, et faciles à rhabiller, comme de n'avoir pas bien obey à leurs maistres, ou avoir failly à faire ce qu'on leur avoit ordonné : mais au contraire, les pechez des jeunes gens en leur adolescence, bien souvent sont enormes et infames, comme une yvrongnerie, une gourmandise, larcins de l'argent de leurs peres, jeux de dez, masques et mommeries, amours de filles, adulteres de femmes mariees. Pourtant estoit-il convenable de contenir et refrener leurs impetueuses cupiditez par grand soing et grande vigilance : car ceste fleur d'aage-là ordinairement s'espargne bien peu, et est fort chatouilleuse et endemenee à prendre tous ses plaisirs, tellement qu'elle a grand besoing d'une grande et forte bride : et ceux qui ne tirent à toute force à l'encontre pour la retenir, ne se donnent de garde, qu'ils laissent à leur esprit la bride lasche à toute licence de mal faire. C'est pourquoy il faut que les bons et sages peres, principalement

en cest