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pour la douleur des coups, et partie pour la honte. Les louanges et les blasmes sont plus utiles aux enfans nez en liberté, que toutes verges ne tous coups de fouët : l'un pour les tirer à bien faire, et l'autre pour les retirer de mal : et faut alternativement user tantost de l'un, tantost de l'autre : et maintenant leur user de reprehension, maintenant de louange. Car s'ils sont quelque-fois trop guays, il faut en les tensant leur faire un peu de honte, et puis tout soudain les remettre en les louant : comme font les bonnes nourrisses, qui donnent le tetin à leurs petits enfans apres les avoir fait un peu crier : toutefois il y faut tenir mesure, et se garder bien de les trop haut-louër, autrement ils presument d'eux-mesmes, et ne veulent plus travailler depuis que lon les a louez un peu trop. Au demourant j'ay cogneu des peres, qui pour avoir trop aimé leurs enfans, les ont en fin haïs. Qu'est-ce à dire cela ? Je l'esclarciray par cest exemple. Je veux dire, que pour le grand desir qu'ils avoient que leurs enfans fussent les premiers en toutes choses, ils les contraignoient de travailler excessivement : de maniere que plians soubs le faix, ils en tomboient en maladies, ou se faschans d'estre ainsi surchargez, ne recevoient pas volontiers ce qu'on leur donnoit à apprendre. Ne plus ne moins que les herbes et les plantes se nourrissent mieux quand on les arrouse modereement, mais quand on leur donne trop d'eau, on les noye et suffoque : aussi faut-il donner aux enfans moyen de reprendre haleine en leurs continuez travaux, faisant compte, que toute la vie de l'homme est divisee en labeur et en repos : à raison dequoy nature nous a donné non seulement le veiller, mais aussi le dormir : et non seulement la guerre, mais aussi la paix : non seulement la tourmente, mais aussi le beau temps : et ont esté instituez non seulement les jours ouvrables, mais aussi les jours de feste. En somme, le repos est comme la saulse du travail : ce qui se voit non seulement és choses qui ont sentiment et ame, mais encore en celles qui n'en ont point : car nous relaschons les cordes des arcs, des lyres, et des violes, à fin que nous les puissions retendre puis apres : et brief, le corps s'entretient par repletion et par evacuation, aussi fait l'esprit par repos et travail. Il y a d'autres peres qui semblablement sont dignes de grande reprehension, lesquels depuis qu'une fois ils ont commis leurs enfans à des maistres et precepteurs, ne daignent pas assister à les voir et ouyr eux mesmes apprendre quelquefois : en quoy ils faillent bien lourdement, car au contraire ils deussent eux mesmes esprouver souvent, et de peu en peu de jours, comment ils profitent, et non pas s'en reposer et rapporter du tout à la discretion de quelques maistres mercenaires : car par ceste solicitude les maistres mesmes auront tant plus grand soing de faire bien apprendre leurs escholiers, quand ils verront que souvent il leur en faudra rendre compte : à quoy se peut appliquer le bon mot que dit anciennement un sage escuyer, « Il n'y a rien qui engraisse tant le cheval, que l'oeil de son maistre. » Mais sur toutes choses, il faut exercer et accoustumer la memoire des enfans, pour ce que c'est, par maniere de dire, le tresor de science : c'est pourquoy les anciens poëtes ont faint, que Mnemosyné, c'est à dire Memoire, estoit la mere des Muses, nous voulans donner à entendre, qu'il n'y a rien qui tant serve à engendrer et conserver les lettres, et le sçavoir, que fait la memoire : pourtant la fault-il diligemment et soigneusement exerciter en toutes sortes, soit que les enfans l'ayent ferme de nature, ou qu'ils l'ayent foible : car aux uns on corrigera par diligence le defaux, aux autres on augmentera le bien d'icelle : tellement que ceux-là en deviendront meilleurs que les autres, et ceux-cy meilleurs que eux mesmes : car le poëte Hesiode a sagement dit,

  Si tu vas peu avecques peu mettant,
  Et plusieurs fois ce peu la repetant :
  En peu de jours tu verras cela croistre,
  Qui par avant bien petit souloit estre.

D'avantage les peres doivent sçavoir, que ceste