Page:Plutarque - Les oeuvres morales et meslees, trad Amyot, 1572.djvu/21

Cette page n’a pas encore été corrigée

tant que lon peut de s'entremettre du gouvernement de la chose publique, et quant et quant vacquer à l'estude de Philosophie, autant que le temps et les affaires les pourront permettre. Ainso gouverna jadis Pericles, ainsi Archytas le Tarentin, ainsi Dion le Syracusain, ainsi Epaminondas le Thebain, dont l'un et l'autre fut familier et disciple de Platon. Quant à l'institution doncques des enfans és lettres, il n'est, à mon advis, ja besoing de s'estendre à en dire d'advantage : seulement y adjousteray-je, que c'est chose utile, ou plus tost necessaire, faire diligence de recueillir les œuvres et les livres des Sages anciens, prouveu que ce soit à la façon des laboureurs : car comme les bons laboureurs font provision des instruments du labourage, non pour seulement les avoir en leur possession, mais pour en user : aussi faut-il estimer que les vrais outils de la science sont les livres, quand on les met en usage, qui est le moyen par lequel on la peut conserver. Mais aussi ne doit-on pas oublier la diligence de bien exerciter les corps des enfans, ains en les envoyant aux escholes des maistres qui font profession de telles dexteritez, les faut quant et quant addresser aux exercices de la personne : tant pour les rendre adroits que pour les faire forts, robustes, et dispos : pour ce que c'est un bon fondement de belle vieillesse, que la bonne disposition et robuste complexion des corps en jeunesse. Et comme en temps calme, quand on est sur la mer, on doit faire provision des choses necessaires à l'encontre de la tourmente : aussi faut- il en jeunesse se garnir de temperance, sobrieté et continence, et en faire reserve et munition de bonne heure, pour en mieux soustenir la vieillesse : vray est qu'il faut tellement dispenser le travail du corps, que les enfans ne s'en dessechent point, et ne s'en treuvent puis apres las et recreuz quand on les voudroit faire vacquer à l'estude des lettres : car comme dit Platon, le sommeil et la lassitude sont contraires à apprendre les sciences. Mais cela est peu de chose, je veux venir à ce qui est de plus grande importance que tout ce que j'ay dit au paravant : car je dis qu'il faut que l'on exerce les jeunes enfans aux exercices militaires, comme à lancer le dart, à tirer de l'arc, et à chasser : pour ce que tous les biens de ceulx qui sont vaincus en guerre sont exposez en proye aux vaincueurs, et ne sont propres aux armes et à la guerre les corps nourris delicatement à l'ombre :

  Mais le soudart de seiche corpulence
  Aiant acquis d'armes experience,
  C'est luy qui rompt des ennemis les rengs,
  Et en tous lieux force ses concurrents.

Mais quelqu'un me pourra dire à l'adventure, Tu nous avois promis de nous donner exemples et preceptes, comment il faut nourrir les enfans de libre condition, et puis on voit que tu delaisses l'institution des pauvres et populaires, et ne donnes enseignements que pour les nobles, et pour les riches seulement. A cela il m'est bien aisé de respondre : car quant à moy je desirerois, que ceste mienne instruction peust servir et estre utile à tous : mais s'il y en a aucuns, à qui par faute de moyens mes preceptes ne puissent estre profitables, qu'ils en accusent la fortune, non pas celuy qui leur donne ces advertissements. Au reste il faut, que les pauvres s'esvertuent, et taschent de faire nourrir leurs enfans en la meilleur discipline qui soit : et si d'adventure ils n'y peuvent ateindre, au moins en la meilleure qu'ils pourront. J'ay bien voulu en passant adjouster ce mot à mon discours, pour au demourant poursuivre les autres preceptes qui appartiennent à la droitte instruction des jeunes gens. Je dis doncques notamment, que lon doit attraire et amener les enfans à faire leur devoir par bonnes paroles et douces remonstrances, non pas par coups de verges ny par les battre : pour ce qu'il semble que ceste voye-là convient plus tost à des esclaves, que non pas à des personnes libres, pour ce qu'ils s'endurcissent aux coups, et deviennent comme hebetez, et ont le travail de l'estude puis apres en horreur, partie