Page:Plutarque - Les oeuvres morales et meslees, trad Amyot, 1572.djvu/20

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Et ce que je dis du parler, autant en pense-je de la disposition du courage : car je ne voudrois que l'enfant fust presumptueux, ny aussi estonné, ne par trop craintif : pour ce que l'un se tourne à la fin en impudence, et l'autre en couardise servile : mais la maistrise en cela, comme en toutes choses, est de bien sçavoir tenir le milieu. Et ce pendant que je suis encore sur le propos de l'institution des enfans aux lettres, avant que passer outre, je veux dire absoluëment ce qui m'en semble : c'est, que de ne sçavoir parler que d'une seule chose, à mon advis, est un grand signe d'ignorance, outre ce qu'à l'exercer on s'en ennuye facilement, et si pense qu'il est impossible de tousjours y perseverer : ne plus ne moins que de chanter tousjours une mesme chanson, on s'en saoule et s'en fasche bien tost : mais la diversité resjouit et delecte en cela, comme en toutes autres choses que lon voit, ou que lon oit. Et pourtant faut-il que l'enfant de bonne maison voye et apprenne de tous les arts liberaux et sciences humaines, en passant par dessus, pour en avoir quelque goust seulement : car d'acquerir la perfection de toutes, il seroit impossible : au demourant qu'il employe son principal estude en la philosophie : et ceste mienne opinion se peut mettre bien clairement devant les yeux par une similitude fort propre : car c'est tout autant comme qui diroit, « Il est bien honneste d'aller visitant plusieurs villes, mais expedient de s'arrester et habituer en la meilleure. » Or tout ainsi, disoit plaisamment le philosophe Bion, que les amoureux de Penelopé, qui poursuyvoient de l'avoir en mariage, ne pouvans jouir de la maistresse, se meslerent avec les chambrieres : aussi ceux qui ne peuvent advenir à la Philosophie, se consument de travail apres les autres sciences, Qui ne sont d'aucune valeur à comparaison d'elle. Et pourtant faut-il faire en sorte que la Philosophie soit comme le sort principal de toute autre estude, et de tout autre sçavoir. Il y a deux arts que les hommes ont inventez pour l'entretenement de la santé du corps, c'est à sçavoir, la medecine, et les exercices de la personne, dont l'une procure la santé, et l'autre la force, et la gaillarde disposition : mais la Philosophie est la seule medecine des infirmitez et maladies de l'ame : car par elle et avec elle nous cognoissons ce qui est honneste ou deshonneste, ce qui est juste ou injuste, et generalement ce qui est à fuir ou à eslire : comme il se faut deporter envers les Dieux, envers ses pere et mere, envers les vieilles gens, envers les loix, envers les estrangers, envers ses superieurs, envers ses enfans, envers ses femmes, et envers ses serviteurs : pour ce qu'il faut adorer les Dieux, honorer ses parents, reverer les vieilles gens, obeïr aux loix, ceder aux superieurs, aimer ses amis, estre moderé avec les femmes, aimer ses enfans, n'outrager point ses serviteurs : et, ce qui est le principal, ne se monstrer point ny trop esjouy en prosperité, ny trop triste en adversité : ny dissolu en voluptez, ny furieux et transporté en cholere. Ce que j'estime estre les principaux fruicts que lon peut recueillir de la Philosophie : car se porter genereusement en une prosperité, c'est acte d'homme : s'y maintenir sans envie, signe de nature douce et traittable : surmonter les voluptez par raison, de sagesse : et tenir en bride la cholere, n'est pas œuvre que toute personne sçache faire : mais la perfection, à mon jugement, est en ceux qui peuvent joindre cest estude de la Philosophie avec le gouvernement de la chose publique : et par ce moyen estre jouyssans des deux plus grands biens qui puissent estre au monde, de profiter au public, en s'entremettant des affaires : et à soymesme, se mettant en toute tranquillité et repos d'esprit par le moyen de l'estude de Philosophie. Car il y a communément entre les hommes trois sortes de vie, l'une active, l'autre contemplative, et la tierce voluptueuse : desquelles ceste derniere estant dissoluë, serve et esclave des voluptez, est brutale, trop vile, et trop basse : la contemplative destituee de l'active, est inutile : et l'active ne communiquent point avec la contemplative, commet beaucoup de fautes, et n'a point d'ornement : au moyen dequoy,

il faut essayer