Page:Plutarque - Les oeuvres morales et meslees, trad Amyot, 1572.djvu/19

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car si pour plaire aux autres ils mettent à nonchaloir l'honnesteté, par plus forte raison oublieront ils tout honneur et tout devoir, pour se donner plaisir et deduit à eux mesmes, et suivront plus tost les attraits de leur concupiscence, que l'honnesteté de la temperance. Mais au reste, qu'enseignerons nous de bon encore aux jeunes enfans, et à quoy leur conseillerons nous de s'addonner ? C'est belle chose, que ne faire ne dire rien temerairement : et, Comme dit le Proverbe ancien, Ce qui est beau est difficile aussi. Les oraisons faittes à l'improuveu sont pleines de grande nonchalance, et y a beaucoup de legereté : car ceux qui parlent ainsi à l'estourdie ne sçavent là où il fault commancer, ny là où ils doivent achever : et ceux qui s'accoustument à parler ainsi de toutes choses promptement à la volee, outre les autres fautes qu'ils commettent, ils ne sçavent garder mesure ny moyen en leur propos, et tombent en une merveilleuse superfluité de langage : là où quand on a bien pensé à ce que lon doit dire, on ne sort jamais hors des bornes de ce qu'il appartient de deduire. Pericles, ainsi comme nous avons entendu, bien souvent qu'il estoit expressément appellé par son nom, pour dire son advis de la matiere qui se presentoit, ne se vouloit pas lever, disant pour son excuse, « Je n'y ay pas pensé. » Demosthenes semblablement grand imitateur de ses façons de faire au gouvernement, plusieurs fois, que le peuple d'Athenes l'appelloit nommeement pour ouïr son conseil sur quelque affaire, leur respondoit tout de mesme, « Je ne suis pas preparé. » Mais on pourroit dire à l'adventure, que cela seroit un conte fait à plaisir, que lon auroit receu de main en main, sans aucun tesmoignage certain : luy mesme en l'oraison qu'il feit alencontre de Midias, nous met devant les yeux l'utilité de la premeditation : car il y dit en un passage, Je confesse, Seigneurs Atheniens, et ne veux point dissimuler que je n'aye pris peine et travaillé à composer ceste harangue, le plus qu'il m'a esté possible : car je serois bien lasche, si aiant souffert et souffrant tel outrage, je ne pensois bien soigneusement à ce que j'en devrois dire pour en avoir la raison. Non que je veuille de tout poinct condamner la promptitude de parler à l'improuveu, mais bien l'accoustumance de l'exerciter à tout propos, et en matiere qui ne le merite pas : car il le fault faire quelquefois, pourveu que ce soit comme lon use d'une medecine : bien diray-je cela, que je ne voudrois point que les enfans, avant l'aage d'homme fait, s'accoustumassent à rien dire sans y avoir premierement bien pensé : mais apres que lon a bien fondé la suffisance de parler, alors est-il bien raisonnable, quand l'occasion se presente, de lascher la bride à la parole. Car tout ainsi comme ceux qui ont esté longuement enferrez par les pieds, quand on vient à les deslier, pour l'accoustumance d'avoir eu si longuement les fers aux pieds, ne peuvent marcher, ains choppent à tous coups : aussi ceux qui par long temps ont tenu leur langue serree, si quelquefois il s'offre matiere de la deslier à l'improuveu, retiennent une mesme forme et un mesme style de parler : mais de souffrir les enfans haranguer promptement à l'improuveu, cela les accoustume à dire un infinité de choses impertinentes et vaines. Lon dit que quelquefois un mauvais peintre monstra à Apelles un image qu'il venoit de peindre, en luy disant : « Je la viens de peindre tout maintenant. » « Encore que tu ne me l'eusses point dit, respondit Apelles, j'eusse bien cogneu qu'elle a voirement esté bien tost peinte : et m'esbahy comment tu n'en as peint beaucoup de telles. » Tout ainsi doncques (pour retourner à mon propos) comme je conseille d'eviter la façon de dire theatrale et pompeuse, tenant de la hautesse tragique : aussi admoneste-je de fuir la trop basse et trop vile façon de langage, pour ce que celle qui est si fort enflee surpasse le commun usage de parler : et celle qui est si mince et si seiche, est par trop craintifve. Et comme il fault que le corps soit non seulement sain, mais d'avantage en bon point : aussi faut il que le langage soit non seulement sans vice ne maladie, mais aussi fort et robuste : pource que lon louë seulement ce qui est seur, mais on admire

ce qui est hardy et adventureux.