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plantes, pour les tenir droittes : aussi les

sages maistres plantent de bons advertissements et de bons preceptes à l'entour des jeunes gents, à fin que leurs meurs se dressent à la vertu. Et au contraire, il y a maintenant des peres qui meriteroient qu'on leur crachast, par maniere de dire, au visage, lesquels par ignorance, ou à faute d'experience, commettent leurs enfans à maistres dignes d'estre reprouvez, et qui à faulses enseignes font profession de ce qu'ils ne sont pas : et encore la faute et la mocquerie plus grande qu'il y a en cela, n'est pas quand ils le font à faute de cognoissance : mais le comble d'erreur gist en cela, que quelquefois ils cognoissent l'insuffisance, voire la meschanceté de tels maistres, mieux que ne font ceux qui les en advertissent, et neantmoins se fient en eux de la nourriture de leurs enfans : faisans tout ainsi comme si quelqu'un estant malade, pour gratifier à un sien amy, laissoit le medecin sçavant qui le pourroit guarir, pour en prendre un qui par son ignorance le feroit mourir : ou si à l'appetit d'un sien amy il rejettoit un pilote qu'il sçauroit tresexpert, pour en choisir un tres-insuffisant. O Jupiter et tous les Dieux, est-il bien possible qu'un homme aiant le nom de pere aime mieux gratifier aux prieres de ses amis, que bien faire instituer ses enfans ? N'avoit donques pas l'ancien Crates occasion de dire souvent, que s'il luy eust esté possible, il eust volontiers monté au plus haut de la ville, pour crier à pleine teste : « O hommes, où vous precipitez vous, qui prenez toute la peine que vous pouvez pour amasser des biens, et ce pendant ne faittes compte de vos enfans, à qui vous les devez laisser ? » A quoy j'adjousterois volontiers, que ces peres-là font tout ainsi, que si quelqu'un avoit grand soing de son soulier, et ne se soucioit point de son pied. Encore y en a il qui sont si avaricieux, et si peu aimants le bien de leurs enfans, que pour payer moins de salaire ils leur choisissent des maistres qui ne sont d'aucune valeur, cerchans ignorance à bon marché : auquel propos Aristippus se mocqua un jour plaisamment et de bonne grace d'un semblable pere, qui n'avoit ne sens ny entendement : car comme ce pere luy demandast, combien il vouloit avoir pour luy instruire et enseigner son fils, il luy respondit, Cent escus. Cent escus, dit le pere, ô Hercules, c'est beaucoup : comment ? j'en pourrois achetter un bon esclave de ces cent escus. Il est vray, respondit Aristippus, et en ce faisant tu auras deux esclaves, ton fils le premier, et puis celuy que tu auras achetté. Et quel propos y a-il, que les nourrisses accoustument les enfans à prendre la viande qu'on leur baille, avec la main droitte : et s'ils la prennent de la main gauche, qu'elles les en reprennent : et ne donner point d'ordre qu'ils oyent de bonnes et sages instructions ? Mais aussi qu'en advient-il puis apres à ces bons peres-là, quand ils ont mal nourry, et pis enseigné leurs enfans ? Je le vous diray. Quand ils sont parvenus à l'aage d'homme, ils ne veulent point ouïr parler de vivre regleement ny en gens de bien, ains se ruent en sales, vilaines et serviles voluptez : et lors tels peres se repentent trop tard à leur grand regret, d'avoir ainsi passé en nonchaloir la nourriture et instruction de leurs enfans : mais c'est pour neant, quand il ne sert plus de rien, et que les fautes que journellement commettent leurs enfans, les font languir de regret. Car les uns s'accompagnent de flatteurs et de plaisans poursuyvans de repeuës franches, hommes maudits et meschans, qui ne servent que de perdre, corrompre et gaster la jeunesse : les autres achettent à gros deniers des garçes folles, fieres, sumptueuses et superflues en despense, qui leur coustent puis apres infiniement à entretenir : les autres consument tout en despense de bouche : les autres à jouër aux dez, et à faire masques et mommeries : aucuns y en a qui se jettent en d'autres vices plus hardis, faisans l'amour à des femmes mariees, et allans la nuict pour commettre adulteres, achettans un seul plaisir bien souvent avec leur mort : là où s'ils eussent esté nourris par quelque philosophe, ils ne se fussent pas laissez aller à semblables choses, ains eussent à tout le moins entendu l'advertissement de Diogenes,