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à la femme, à fin que si d'adventure elle vient à faire deux enfans jumeaux, elle ait deux fontaines de laict

pour pouvoir fournir à les nourrir tous deux. Il y a d'avantage, qu'elles mesmes en auront plus de charité et plus d'amour envers leurs propres enfans, et non sans grande raison certes : car le avoir esté nourris ensemble est comme un lien qui estrainct, ou un tour qui roidit la bienveuillance : tellement que nous voyons jusques aux bestes brutes, qu'elles ont regret quand on les separe de celles avec qui elles ont esté nourries. Ainsi doncques faut-il que les meres propres, s'il est possible, essayent de nourrir leurs enfans elles mesmes : ou s'il ne leur est possible, pour aucune imbecillité ou indisposition de leurs personnes, comme il peut bien advenir : ou pour ce qu'elles ayent envie d'en porter d'autres : à tout le moins faut-il avoir l'oeil à choisir les nourrisses et gouvernantes, non pas prendre les premieres qui se presenteront, ains les meilleures que faire se pourra, qui soient premierement Grecques, quant aux mœurs. Car ne plus ne moins qu'il faut dés la naissance dresser et former les membres des petits enfans, à fin qu'ils croissent tout droits, et non tortus ne contrefaicts : aussi faut-il dés le premier commancement accoustrer et former leurs mœurs, pour ce que ce premier aage est tendre et apte à recevoir toute sorte d'impression que lon luy veut bailler, et s'imprime facilement ce que lon veut en leurs ames pendant qu'elles sont tendres, là où toute chose dure malaiseement se peut amollir : car tout ainsi que les seaux et cachets s'impriment aiseement en de la cire molle, aussi se moulent facilement és esprits des petits enfans toutes choses que lon leur veut faire apprendre. A raison dequoy, il me semble que Platon admoneste prudemment les nourrisses, de ne conter pas indifferemment toutes sortes de fables aux petits enfans, de peur que leurs ames dés ce commancement ne s'abbreuvent de follie et de mauvaise opinion : et aussi conseille sagement le poëte Phocyllides, quand il dit,

  Dés que l'homme est en sa premiere enfance,
  Monstrer luy faut du bien la cognoissance.

Et si ne faut pas oublier, que les autres jeunes enfans, que lon met avec eux pour les servir, ou pour estre nourris quand et eux, soient aussi devant toutes choses bien conditionnez, et puis Grecs de nation, et qui ayent la langue bien deliee pour bien prononcer : de peur que s'ils frequentent avec des enfans barbares de langues, ou vicieux de mœurs, ils ne retiennent quelque tache de leurs vices : car les vieux proverbes ne parlent pas sans raison quand ils disent, « Si tu converses avec un boitteux, tu apprendras à clocher. » Mais quand ils seront arrivez à l'aage de devoir estre mis soubs la charge de pedagogues et de gouverneurs, c'est lors que peres et meres doivent plus avoir l'oeil à bien regarder, quels seront ceux à la conduitte desquels ils les commettront, de peur qu'à faute d'y avoir bien prins garde, ils ne mettent leurs enfans en mains de quelques esclaves barbares, ou escervellez et volages. Car c'est chose trop hors de tout propos ce que plusieurs font maintenant en cest endroit, car s'ils ont quelques bons esclaves, ils en font les uns laboureurs de leurs terres, les autres patrons de leurs navires, les autres facteurs, les autres receveurs, les autres banquiers pour manier et traffiquer leurs deniers : et s'ils en trouvent quelqu'un qui soit yvrongne, gourmand et inutile à tout bon service, ce sera celuy auquel ils commettront leurs enfans : là où il faut qu'un gouverneur soit de nature tel, comme estoit Phenix le gouverneur d'Achilles. Encore y a-il un autre poinct plus grand, et plus important que tous ceux que nous avons alleguez, c'est qu'il leur faut cercher et choisir des maistres et des precepteurs qui soient de bonne vie, où il n'y ait que reprendre, quant à leurs mœurs, et les plus sçavans et plus experimentez que lon pourra recouvrer : Car la source et la racine de toute bonté et toute preudhommie est, avoir esté de jeunesse bien instruict. Et ne plus ne moins que les bons jardiniers fichent des paux aupres des jeunes