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plus de generosité. Auquel propos on dit que Diophantus le fils de Themistocles disoit souventefois et à plusieurs, que ce qui luy plaisoit, plaisoit aussi au peuple

d'Athenes : « Car ce que je veux (disoit-il) ma mere le veut : et ce que ma mere veut, aussi fait Themistocles : et ce qui plaist à Themistocles, plaist aussi aux Atheniens. » Et en cela fait aussi grandement à louër la magnanimité des Lacedemoniens, lesquels condamnerent leur Roy Archidamus en une somme d'argent, pour l'amende de ce qu'il avoit eu le cœur d'espouser une femme de petite stature, en y adjoustant la cause pour laquelle ils le condamneoient : « Pour autant (disoient-ils) qu'il a pensé de nous engendrer non des Roys, mais des Roytelets. » A ce premier advertissement est conjoint un autre, que ceux qui paravant nous ont escrit de semblable matiere n'ont pas oublié : c'est, « Que ceux qui se veulent approcher de femmes pour engendrer, le doivent faire ou du tout à jeun, avant que d'avoir beu vin, ou pour le moins apres en avoir pris bien sobrement. » Pour ce que ceux qui ont esté engendrez de peres saouls et yvres deviennent ordinairement yvrongnes, suyvant ce que Diogenes respondit un jour à un jeune homme desbauché et desordonné : « Jeune fils mon amy, ton pere t'a engendré estant yvre. » Cela suffise quant a la generation des enfans. Au reste, quant à la nourriture, ce que nous avons accoustumé de dire generalement en tous arts et toutes sciences, cela se peut encore dire et asseurer de la vertu : c'est, « Que pour faire un homme parfaittement vertueux, il faut que trois choses y soient concurrentes, la nature, la raison, et l'usage. » J'appelle raison la doctrine des preceptes : et usage, l'exercitation. Le commancement nous vient de la nature, le progres et accroissement, des preceptes de la raison : et l'accomplissement, de l'usage et exercitation : et puis la cime de perfection, de tous les trois ensemble. S'il y a defectuosité en aucune de ces trois parties, il est force que la vertu soit aussi en cela defectueuse et diminuee : car la nature sans doctrine et nourriture est une chose aveugle, la doctrine sans nature est defectueuse, et l'usage sans les deux premieres est chose imparfaitte. Ne plus ne moins qu'au labourage, il faut premierement que la terre soit bonne : secondement, que le laboureur soit homme entendu : et tiercement, que la semaece soit choisie et elevë : aussi la nature represente la terre, le maistre qui enseigne resemble au laboureur, et les enseignements et exemples reviennent à la semence. Toutes lesquelles parties j'oserois bien pour certain asseurer avoir esté conjointes ensemble és ames de ces grands personnages qui sont tant celebrez et renommez par tout le monde, comme Pythagoras, Socrates, Platon, et autres semblables qui ont acquis gloire immortelle. Or est bienheureux celuy-là, et singulierement aimé des Dieux, à qui le tout est ottroyé ensemble : mais pourtant s'il y a quelqu'un qui pense, que ceux qui ne sont pas totalement bien nez, estans secourus par bonne nourriture et exercitation à la vertu, ne puissent aucunement reparer et recouvrer le defaut de leur nature : sçache qu'il se trompe et se mesconte de beaucoup, ou pour mieux dire, de tout en tout : car paresse aneantit et corrompt la bonté de nature, et diligence de bonne nourriture en corrige la mauvaistié. Ceux qui sont nonchalans ne peuvent pas trouver les choses mesmes qui sont faciles : et au contraire, par soing et vigilance lon vient à bout de trouver les plus difficiles. Et peut-on comprendre combien le labeur et la diligence on d'efficace et d'execution, en considerant plusieurs effects qui se sont en nature : car nous voyons que les gouttes d'eau qui tombent dessus une roche dure, la creusent : le fer et le cuyvre se sont usant et consumant par le seul attouchement des mains de l'homme, et les rouës des charriots et charrettes que lon a courbees à grand' peine, ne sçauroient plus retourner à leur premiere droiture, quelque chose que lon y sçeust faire : comme aussi seroit-il impossible de redresser les bastons tortus que les joueurs portent en leurs mains dessus les eschaffaux : tellement que ce qui est contre nature changé par force et labeur, devient